La Sorcière d'Aon

Le serment

Amalia sortit de l'espace de recueillement avec les yeux rouges. Elle n'avait pas connu le vrai Lucas, à qui un hommage venait d'être offert, mais c'était la première cérémonie à laquelle elle assistait depuis la mort de Cédric et Abby. Ces instants de méditation collective et les honneurs rendus à l'apprenti Confrère l'avaient touchée. Elle avait le sentiment d'enfin avoir pu dire adieu à sa famille.

Elle calma ses émotions en remontant les couloirs qui la séparaient des bureaux des Officiels, où elle avait rendez-vous. Sa paume glissait le long des bas-reliefs et elle se laissait bercer par les tonalités confiées par les bâtisseurs passés. Elle usait bien plus volontiers de ses capacités depuis l'incident. Kentigern s'était montré inflexible : un tel atout ne pouvait être délaissé. Amalia composait avec ses sentiments mitigés sur le sujet, encore trop méfiante pour considérer ce qu'elle avait toujours envisagé comme une malédiction être une qualité.

Depuis qu'elle avait percé à jour l'élémentariste la semaine dernière, les bonnes nouvelles s'étaient enchaînées. La Confrérie avait formulé sa proposition officielle pour l'intégrer en temps que Consoeur, avec Maître Kentigern pour mentor. Elle débuterait au grade le plus bas, comme tout un chacun, mais aurait l'occasion de monter rapidement dans la hiérarchie, notamment pour lui permettre de travailler sur son don.

Afin d'être pleinement informée sur ses futurs engagements, elle avait eu pour unique devoir de lire l'intégralité du règlement Confrère. Un pavé de quelque 1560 pages. Aujourd'hui, elle devait formuler sa réponse définitive.

Tendue, Amalia frappa à l'endroit que lui avait indiqué Kentigern, celui d'une officielle de rang un qu'elle rencontrait pour la première fois. Elle espérait faire bonne impression : sa cape bleue, impeccablement repassée, tombait parfaitement sur ses épaules, elle s'était offert une nouvelle coupe et avait réalisé un chignon bien serré et, enfin, elle s'était maquillée.

La porte s'ouvrit, Amalia entra et écarquilla les yeux en découvrant la vieille sorcière de la bibliothèque, assise derrière un interminable et massif bureau en bois. L'aïeule lui adressa un grand sourire et l'invita à s'avancer. Amalia, sous le choc, s'exécuta, le regard perdu sur la magnifique étoffe rouge que portait l'officielle. Ses cheveux blancs nacrés offraient un contraste saisissant sur le carmin du tissu. La pièce sentait la cire d'abeille, les essences précieuses et la cannelle.

« Elfric, je te présente Maître Melody, Officielle de rang 1... » déclama Kentigern.

La jeune femme sursauta. Toute décontenancée qu'elle était, elle n'avait pas remarqué le vieux Maître, qui lui avait sans doute ouvert la porte et se tenait légèrement en retrait.

« ... Maître Melody, je vous présente...

- Elle me connait, coupa Amalia. Je... je ne la connais visiblement pas, mais elle sait qui je suis : elle s'est jointe à moi plusieurs fois, à la bibliothèque. »

Amalia n'osait plus bouger, figée à mi-chemin entre le bureau et la sortie. Dans quelle mesure l'Officielle s'était-elle forgée une opinion différente de celle Kent à son propos. Du coin de l'oeil, elle le vit froncer les sourcils.

« Ho, rassure-toi Kentigern, tempéra Melody d'une voix claire et exempte des chevrotements qu'elle servait habituellement à Amalia. J'avais juste quelques conseils à lui donner. Tu l'as lâchée avec si peu d'instructions que je ne pouvais pas la laisser toute seule. Et puis, j'avais aussi mes propres exigences à valider. Approche, viens t'asseoir, Elfric. »

Amalia s'avança. Elle n'aimait plus autant qu'avant être appelée par son nom de famille, mais ça restait le souhait qu'elle avait formulé à son arrivée. Elle devait trouver une alternative, mais cela n'avait rien d'urgent. Méfiante, elle s'installa face à Maître Melody. Kentigern prit place sur une chaise à côté d'elle. Quel âge pouvait avoir cette vieille femme ?