La vieille sorcière

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Amalia s'éclaboussa le visage. Sa peau frissonna au contact de l'eau et le son des gouttelettes projetées sur la faïence résonna à travers les sanitaires vides. Ses côtes lui faisaient un mal de chien et la douleur décuplait tous ses autres sens au point de lui filer le vertige. À moins qu'elle soit en train de défaillir.

La jeune femme croisa son regard à travers le miroir, puis le détourna pour se concentrer sur le rouge un peu passé des cabines de toilettes derrière elle. Elle en compta quinze et quinze encore alignées en face, soit presque une cuvette par apprenti, calcula-t-elle pour repousser le bruit assourdissant de son sang battant contre ses tempes. Elle n'en était pas à son premier malaise.

Autrefois, avait-elle retenu de ses cours « d'Histoires de la Confrérie », les aspirants Confères s'engageaient par centaines ; conséquence de ce criant manque de vie étudiante, l'infrastructure du Monastère semblait toujours disproportionnée. Amalia inspira doucement et ferma les yeux alors que la crise passait. De toute façon, Usem n'allait plus tarder. Il allait la rafistoler et elle pourrait ensuite se rendre à la Bibliothèque, comme si de rien n'était. Elle pourrait reprendre ses recherches pour ramener Abby.

Le jour où l'adolescent, qui se destinait à devenir médic', lui avait proposé ses services pour la première fois, Amalia l'avait envoyé balader, persuadée qu'il ne souhaitait la soigner que pour permettre à ses camarades de la tabasser, encore et encore. Les sentiments d'Usem avaient éclaboussé la jeune femme quand il s'était défendu avec force d'avoir de telles intentions. Lui d'habitude aussi placide que ses ainés n'avait su retenir son indignation. Amalia avait décidé de lui faire confiance et ils avaient convenu d'un signal : lorsqu'elle avait besoin de son aide, elle nouait son écharpe d'une certaine façon et ils se retrouvaient aux toilettes pendant l'interclasse du matin.

Sans surprise, Usem passa la porte quelques minutes plus tard. À travers le miroir, Amalia l'observa remonter la pièce jusqu'à elle et lui adresser un sourire.

« Salut

— Salut, répondit-elle, alors, comment s'est passé ton examen ?

— L'histoire Confrère ne me passionne pas, mais je pense que je validerais le niveau. Et toi, pas trop compliqué les spécificités des ennemis confrères ?

— In-sur-mon-ta-ble », ironisa la jeune femme en levant les yeux au ciel.

Usem rit de bon cœur, puis entreprit de l'ausculter. La sorcière observa son expression sérieuse à la dérobée. L'adolescent n'en semblait plus un lorsqu'il soignait : son visage neutre reflétait une intense concentration ; les yeux fermés pour mieux interpréter les informations renvoyées par le charme de diagnostic qui rayonnait au creux de ses paumes tendues.

« Deux côtes fêlées, commenta-t-il. Tu as lancé un sortilège pour te soulager, je comprends, mais c'est mauvais pour toi. Ça se voit que tu as forcé dessus... Je peux relever ton pull pour commencer les soins ?

— Vas-y. »

Quelques minutes plus tard, Amalia se redressa et s'étira en pivotant son buste vers la droite, puis la gauche.

« Ce soir c'est Victoria hein ?

— Ouais... répondit-elle d'une voix sombre, focalisée sur les sensations de son torse.

— Je te dis à demain, du coup ?

— Mais je t'emmerde ! »

La blagu était devenue habituelle entre eux, et elle l'envoyait paître de bon cœur, mais tous les deux savaient parfaitement que, le lendemain, il devrait recommencer tout le travail.

Amalia, allégée de sa douleur, lâcha un petit rire auquel Usem leva un sourcil interrogateur.

« Rien. C'est juste que, quand je me cachais dans les toilettes à ton âge, c'était clairement pas pour me faire soigner... »

La Sorcière d'AonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant