Cette année encore, les enfants d'Aon chausseraient leurs patins pour jouer sur la mer gelée bien avant le solstice d'hiver. Le froid envahissait le port et le fleuve. L'herbe se couvrait d'une pellicule blanche, les rives cristallisaient et les boueuses routes de terre du village durcissaient.
Maisonnettes en pierre, bâtisses aux toits de chaume et hangars, frileusement groupés autour de l'unique embarcadère, défiaient le rude climat avec sérénité. La brise océane noyait le bourg de ses embruns salés et emportait au loin la fumée des foyers. On jetait une brassée de sarments pour raviver le feu, les cheminées crachaient de plus belle pour tenir au chaud les logis de la petite communauté. Le froid, malgré l'insistance de ses assauts précoces, s'arrêtait aux carreaux des fenêtres qu'il fardait de givre.
Seules celles des Elfric restaient immaculées.
La demeure du bout de la rue n'était pas une maison ordinaire. Il y faisait bon et clair, sans l'artifice d'un brasier. La cheminée ne fumait jamais, même dans les périodes les plus glaciales de l'hiver. La nuit, les flammes des bougies ne tremblaient pas à travers les vitres et la lumière ne faiblissait pas quand les générateurs tombaient en panne.
Dans la cuisine, deux amies discutaient depuis maintenant des heures. Entre elles trônaient un bébé et deux tasses, encore maquillées de reste de chocolats chauds. Installée sur les genoux d'Amalia, Abby observait le vieux stylo qu'elle aimait prendre, mâchouiller et perdre un peu n'importe où. Sa mère l'avait retrouvé et l'agitait entre deux doigts.
Wilma écoutait attentivement Amalia relire ses notes, jetées sur une feuille recouverte de sa fine écriture. Ce soir, plusieurs Yasards de la Congrégation Atlantique se réunissaient au port d'Odet. Les deux amies comptaient s'y rendre pour participer aux débats. Le sujet qui les préoccupait concernait la politique d'accès à la côte et en particulier les entrées du réseau sorciers.
La jeune mère reposa son bic et bâilla discrètement en tournant le regard vers sa fille. La gamine de neuf mois lui ressemblait : elle se montrait déjà colérique et manipulatrice. Le petit monstre avait gardé ses parents éveillés une grande partie de la nuit.
« Tu es certaine que tu ne veux pas aller faire une sieste ? répéta Wilma.
— Non, ne t'en fais pas. Elle se fatiguera avant moi. »
Avec le débat qui l'attendait, elle aurait dû dormir, mais Cédric s'était levé aux aurores. Malgré les cernes sous ses yeux, il assurait la permanence au magasin dès six heures. Le matin restait le moment le plus important de la journée, celui où les ouvriers des chantiers emportaient leur ration pour midi. Il en profitait pour troquer d'autres denrées alimentaires. S'il travaillait à l'épicerie, sans repos, la jeune mère n'avait aucune raison de se ménager.
La gamine prit soudain part à la conversation des adultes avec force balbutiements. Elle émit une litanie enthousiaste de « bah » et de « beh ». Amalia passa les doigts dans ses cheveux châtains avec un sourire amusé. Elle retrouvait dans leur teinte exactement la même couleur, les mêmes reflets, les mêmes mouvements que dans les siens. L'enfant se calma et s'appuya sur sa mère en fixant Wilma.
Amalia réalisa un geste ample et machinal du bout du bras. Le bijou qui sertissait sa main d'un fin liseré d'Iris scintilla et la casserole, où le lait était maintenu à température idéale, vola jusqu'à elles. Wilma s'occupa de verser une cuillère de poudre noire dans leurs tasses.
« Je n'en reviens toujours pas de boire du chocolat chaud ici... Si on savait que tu possèdes cela...
— Eh bien, si quelqu'un l'apprend, je l'inviterai à venir boire une tasse chez moi », répondit son amie sans s'inquiéter.
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La Sorcière d'Aon
FantasyChère Consoeur, Par la présente, je sollicite l'accord officiel de la Confrérie quant aux démarches que je souhaite mettre en oeuvre concernant Amalia Elfric. Née Hohenhoff le 13 septembre 1875 du calendrier Merlinique, elle présente une capacité in...