La Sorcière d'Aon

Un souvenir gênant

Amalia se réveilla d'un seul coup, les yeux grand ouverts. Elle ne connaissait pas l'endroit où elle se trouvait, mais elle n'était ni ligotée ni dans une cellule. Et elle était vivante.

En bougeant la tête, elle repéra des charmes-paravents rouges qui la mettaient à l'abri des regards. Elle se sentait bien au chaud sous une couverture rouge et le plafond, décoré de bas-reliefs peints de rouge, semblait suffisamment haut pour laisser entrer un immeuble de trois étages dans la pièce. De toute évidence, elle n'avait pas quitté la Confrérie et se réveillait au monastère, sans doute dans l'aile hospitalière, au regard de la collection de sérum qui tapissait les murs.

Elle se redressa sur ses coudes et sa première pensée consciente fut pour ses vêtements. Elle avait été rhabillée, Merlin merci. Elle repoussa les draps et se frotta les mains, prise d'une furieuse envie de se laver. Rien d'étonnant après avoir compris, en plein acte, qu'elle couchait avec un espion. Depuis combien de temps Lucas se jouait-il de la Confrérie ?

L'un des paravents, en partie replié, lui permit d'apercevoir son voisin d'en face : Kentigern. Le Maître lui adressa un sourire chaleureux, mais qui ne parvint pas à chasser le vide qu'elle ressentait. Il se trouvait encore sous surveillance médicale, portait un bras en écharpe et ses pansements restaient rougeâtres. En 24h, la Confrérie ne l'avait pas guéri totalement. Amalia frissonna, refusant d'imaginer ce à quoi elle avait échappé face à Lucas.

Un bruit de porte la fit sursauter alors que les paravents s'écartaient pour laisser entrer Maître Abdelkader dans leur champ de vision. Il la salua avec la même sollicitude que son Confrère, puis aida le blessé à se lever. Kentigern traversa l'espace en claudiquant. Un air enjoué métamorphosait ses rides en autant de sourires.

« Il parait qu'on a reçu ton appel au secours sans aucun problème », lança-t-il pour amorcer la discussion.

Il s'installa avec précaution, une fesse posée au bout du lit d'Amalia. Abdelkader rit.

« C'est le moins que l'on puisse dire ! Pas un Confrère ou une Consoeur ne l'a manqué. »

Amalia fronça les sourcils, puis se souvint. Elle avait démembré sa maison pour sonner l'alerte.

« Où est Lucas ? », s'inquiéta-t-elle.

Le regard des deux Confrères s'assombrit et Amalia regretta presque d'avoir posé la question tant l'expression de Kentigern lui parut triste.

« Il a été arrêté : il s'est muré dans une gangue de glace pour se protéger de ton explosion. Aucun de nos apprentis ne peut maîtriser ce genre de sortilège d'urgence élémentariste. On l'interroge en ce moment, mais tu n'as plus à t'en préoccuper. »

Était-ce à cause d'un habile enchantement, ou du fait de sa grande lassitude ? Amalia repoussa l'idée qu'à l'instant même, on le torturait sans doute. Elle n'était pas certaine d'être d'accord avec ce qu'elle en penserait et se désintéressa de la question.

« Ce n'était pas Lucas, reprit Kentigern. Lucas est mort. C'était un adolescent intègre, un garçon prometteur qui serait devenu un très bon Confrère auquel ses Maîtres étaient très attachés. Les élémentaristes l'ont capturé lors de sa permission estivale, il y a un peu plus de 2 ans. Nous ne mesurons pas encore la portée de ses sabotages et ignorons s'il a tenté d'interférer sur autre chose que nos projets d'innovation Confrère. »

La sorcière hocha la tête... Deux ans... L'espion n'avait pas bafoué uniquement sa confiance, il avait trompé toute la Confrérie, deux ans durant. Elle ne sut dire si elle trouvait cela horrible ou admirable.

Pourquoi, par Merlin, s'était-il hasardé à coucher avec elle ? Un homme capable d'une maîtrise suffisante pour se faire passer pour un apprenti Confrère n'aurait pas dû braver l'interdit pour une simple question de désir. Pourquoi prendre le risque de se compromettre ? En quoi cela remplissait-il son objectif de sabotage ?