Double jeu

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Amalia observa la silhouette d'Usem s'éloigner puis disparaître dans la nuit noire. Elle referma la porte de sa petite maison, mais resta dans l'entrée, interdite et étourdie par le silence et la lassitude qui s'abattit soudain sur elle. Comment allait-il bien pouvoir trouver le sommeil avec tout ce qui s'était passé ces dernières quarante-huit heures ?

Elle se servit un verre d'eau à la cuisine, puis gagna sa chambre, une boule d'angoisse lovée dans l'estomac. Le blizzard, les révélations de Kentigern, Lucas, le nouvel examen, l'attaque, le combat, le sang de Kentigern sur la glace... La jeune femme tenta d'éloigner ses pensées d'elle en glissant entre les draps.

Suite au sauvetage de Kentigern, elle avait été enfermée dans une petite salle austère, où les confrères l'avaient laissée patienter pendant des heures. En guise d'interrogation, une grande sorcière aux cheveux gris s'était directement servie dans son esprit. Jamais Amalia n'aurait imaginé remercier un jour Merlin que la Confrérie s'avère si prompte à user d'intrusions mentalistes : l'épreuve s'était révélée très désagréable, mais elle avait suffi à l'innocenter.

Amalia grogna, se retourna sous sa couverture, enfouit sa tête dans son oreiller et ferma les yeux, tâchant de taire ses doutes. L'attaque de Kentigern remettait tout en cause, y compris son intégration en tant que Consœur. Et si toute son expérimentation s'arrêtait là, qu'allait-elle devenir ?

Quelques coups secs frappés à sa porte firent sursauter Amalia qui se redressa d'un bond. Un soleil vif passait à travers les persiennes de sa fenêtre et baignait la chambre d'une lumière douce. Quelle heure pouvait-il bien être ?

La sorcière s'extirpa à la hâte de son lit alors que de nouveaux coups retentissaient dans l'entrée.

« Eh bien ! Y'a du laisser-aller ! » s'exclama Lucas lorsqu'elle lui ouvrit enfin.

Elle avait enfilé des habits au hasard et lui présentait un visage sombre et échevelé.

« Je viens de me lever. C'est pas comme si j'avais un programme très chargé, vu que je suis assignée à résidence, bougonna-t-elle.

— Comme j'attends, encore une fois, mon épreuve de passage, je n'ai plus cours. Les autres m'ont missionné pour t'entraîner... »

Amalia grimaça puis s'écarta pour le laisser entrer. Son intronisation en tant que Confrère avait évidemment dû être reportée suite à l'attaque.

« ... ou au moins te tenir compagnie », ajouta-t-il avec quelque chose de trainant dans la voix.

La jeune femme retint un sourire à cette allusion à peine voilée. Là tout de suite maintenant, franchement, elle n'avait pas envie. Elle se sentait bien trop préoccupée par sa situation.

« Je ne sais pas si ça a encore beaucoup d'intérêt de m'entraîner, je ne sais même pas si, ou combien de temps, je vais pouvoir rester ici.

— Rassure-toi, tu en connais beaucoup trop sur la Confrérie pour qu'ils te laissent partir du Village.

— Pardon ? » sursauta-t-elle.

D'un geste du concentrateur, Lucas repoussa les meubles de l'espace principal avant de lui adresser un sourire taquin.

« Relaxe, je plaisante. Ne te prends pas trop la tête : Maître Kentigern en a vu d'autres, il a la peau dure et il est borné. Je ne pense pas que ta place ici soit compromise. »

Le poids dans la poitrine d'Amalia s'évapora d'un coup. Elle retint un long soupir de soulagement, ce qui fit rire Lucas. Il se mit en garde et la sorcière changea de tenu d'un geste de la main.

Elle se positionna à deux pas de lui. Il attaqua : coup droit, direct, vers son menton. Elle se baissa, passa au corps à corps en frappant au flan. Lucas s'écarta, et profita de son élan pour lui tordre le bras dans le dos, l'embrassa au creux du cou et s'éloigna en la relâchant. Amalia ferma les yeux et frissonna. Une phrase de sa part avait suffi à chasser ses craintes, et un contact avec sa bouche à raviver son envie. Voilà qui ne favorisait pas sa concentration.

La Sorcière d'AonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant