Épilogue

180 31 3
                                    

Cette année encore, les enfants d'Aon chaussaient sans doute leurs patins pour jouer sur la mer gelée. Le froid avait envahi le port et le fleuve. En dépit de la brume et du givre matinal, Amalia observait, sereine, les maisonnettes en pierre, bâtisses aux toits de chaume et hangars groupés autour de l'embarcadère.

La veille, elle avait prêté serment. Elle ressentait le poids de sa cape rouge sur ses épaules et, avec elle, se lovait dans la fierté de la Confrérie. Elle n'était plus seule. À la frontière de son esprit, alors qu'ils se trouvaient à des milliers kilomètres de là, elle sentait Kentigern, Victoria, Valentin, Âryni et Usem. Son premier cercle, ses amis.

Elle ne revenait pas par nostalgie, sa vie ici était révolue, mais il lui restait une chose à accomplir.

La capuche rabattue sur le visage, Amalia s'avança dans la brume des petites rues de son village. Quelqu'un avait pris possession de son ancienne maison et elle vit des têtes blondes courir dans le jardinet. Elle s'attarda un instant puis se concentra sur la raison de sa présence : Wilma.

Sur le pas de la porte de chez son amie, elle hésita. Elle repoussa ses craintes, souffla une longue volute de condensation, puis frappa. Quelques foulées à l'intérieur lui indiquèrent l'arrivée de Wilma. La sorcière reprit brièvement sa respiration, puis remonta ses défenses mentales pour calmer son stresse. La porte s'ouvrit, Amalia baissa alors sa capuche et un silence glacial s'ensuivit.

Wilma trembla, la dévisagea, puis lui envoya la plus belle claque qu'elle pouvait lui donner avant de l'enlacer avec force.

« J'ai cru que tu étais morte », souffla-t-elle en se mettant à pleurer.

Amalia répondit à son étreinte avec la même émotion et murmura :

« Je suis tellement désolée. J'ai tellement de choses à te raconter. »

Lorsqu'elle repartit vers la Confrérie tard ce soir-là, émue d'avoir pu de nouveau discuter à bâtons rompus avec son amie, Amalia marcha jusqu'au port, sur la grève au bout de la digue. Le reflet de la lune sur la mer pétrifiée jetait sur le monde sa lumière d'argent. Le village se découpait en ombres noires sur le ciel nocturne, percé ça et là de petites étincelles tremblotantes, bougies ou feu de cheminée veillant sur les plus couche-tard des habitants. La jeune femme, apaisée par ce spectacle par le froid, poussa un long soupire de soulagement, puis disparut.

Plus jamais elle ne serait la Sorcière d'Aon.


La Sorcière d'AonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant