Menaces

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Le départ de la Consœur avait sonné celui de la concentration d'Amalia : elle avait abandonné tout espoir de recherches et s'était résignée à regagner son logement, dans un état second.

La charmante maisonnette aux allures de chalet suisse — trait d'humour de Kentigern, sans doute — se tenait en périphérie du Village, un bourg d'une petite centaine d'habitants auxquels l'aspirante Confrère ne se mélangeait pas. Elle n'en avait pas le temps : lorsqu'elle n'étudiait pas, elle s'entraînait, lorsqu'elle ne s'entraînait pas, elle lisait à la bibliothèque, lorsqu'elle ne se trouvait pas à la bibliothèque, elle dormait. Du fait, elle gagna son lit aux draps carmin, s'y glissa et y sombra sans autre procédé. Elle avait appris à profiter du moindre instant de répit pour récupérer.

Lorsqu'elle émergea, quelques heures plus tard, Amalia se prépara une tasse de café et s'attabla, la tête encore pleine de questionnements. Cette vieille sorcière disposait-elle d'nu pouvoir suffisant pour mettre ses menaces à exécution ? Kentigern lui avait dit être Maître de rang trois, la Consœur, qui semblait l'avoir connu jeune, devait au moins porter le même rang, si pas plus haut. Amalia souffla de déception sur la vapeur émise par sa boisson brûlante. Elle n'aurait pas imaginé la Confrérie engoncée dans ce type de hiérarchie. Il y avait quelque chose de rétrograde dans l'idée qu'une personne affaiblie par l'âge puisse ordonner quelque chose à Kentigern sans plus disposer de la puissance pour rivaliser avec lui.

La jeune femme jeta un coup d'œil par la fenêtre : dehors la lumière déclinait déjà et la nuit tombante la rapprochait à grands pas de sa séance d'entraînement nocturne. Elle n'avait pas hâte d'affronter Victoria. Avec un soupir las, elle déposa sa tasse vide au fond du minuscule évier de sa cuisine, et activa le charme de nettoyage.

Elle sursauta lorsqu'elle revint au salon. Une enveloppe blanche trônait au centre de la table dont elle venait de se lever. La lettre sautillait sur place, réalisant des bonds de droite à gauche et de petits saltos parfaitement ridicules pour un objet de cet acabit.

« Qu'est-ce qu... »

Amalia saisit la missive au vol. Le billet en papier épais ne portait aucune inscription. Comment était-il arrivé là ? Il ne s'y trouvait pas quelques minutes plus tôt, elle en était certaine. Les doigts tremblants, elle décacheta le pli.

Ta place n'est pas ici. Retourne te droguer chez toi. Tu fais honte à la Confrérie.

La jeune femme reposa vivement le mot sur la table. Aucune signature, et l'écriture ne lui disait rien, mais, de toute évidence, quelqu'un, pour qui s'introduire chez elle ne présentait aucune difficulté, souhaitait son départ.

Amalia sentit une boule se former dans sa gorge et, d'un coup, la question qui lui traînait en tête depuis sa discussion avec la vieille trouva sa réponse : oui, elle voulait rester. Même si on lui interdisait toute recherche pour retrouver sa fille, elle voulait devenir Consœur. Elle n'avait plus que ça.

Elle n'eut pourtant guère le temps de s'appesantir sur le sujet : des coups secs à sa porte la tirèrent de sa stupeur. Elle dissimula de justesse le mot dans sa poche et Victoria entra sans attendre d'y être invitée.

« T'es pas en tenue ? lâcha-t-elle, glaciale. Grouille-toi, j'ai pas l'intention d'y passer la nuit. »

Amalia approuva d'un signe du menton et se changea rapidement dans sa chambre. Avec la lettre et l'ultimatum de la vieille, elle n'était pas en état de se battre, mais jamais l'aspirante consœur n'accepterait de l'entendre. Victoria ne rêvait que d'une chose : la casser. Elle ne s'était portée volontaire pour l'entraîner que pour s'assurer qu'elle abandonne. Amalia sentait très souvent perler les sentiments de dégoût et de mépris qu'elle entretenait à son égard.

La Sorcière d'AonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant