Corruption

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Amalia, entre deux entremets aux allures d'œuvre d'art servis par un sorcier impeccable et discret, eut tout le loisir d'étudier son interlocuteur en détail. Bien trop vieux pour elle, elle ne parvenait pas à lui trouver le moindre attrait physique. Propre sur lui, ce grand brun au teint mordoré n'était pourtant pas repoussant, mais son âge la rendait mal à l'aise. Si elle devait se retrouver dans son lit, elle s'arrangerait pour que ce soit rapide.

À un plat de terrine d'aubergine, élégamment minimaliste, succédèrent de petites assiettes d'amuse-bouche. Chaque nouvelle arrivée l'étonnait par la délicate façon dont les aliments avaient été assemblés.

Amalia ne comprenait pas vraiment qu'on dépense tant de temps à dresser de telles sculptures pour les manger aussi vite, mais elle s'extasiait avec Akio sur ces poèmes éphémères. La table ne se vidait jamais, leurs verres non plus.

Sans surprise, Akio se montra très réceptif à la perspective du joli pactole qu'elle lui fit miroiter. Le sujet, bien sûr, ne fut évoqué qu'en surface, à demi-mot, préliminaire délicat comme les mets qu'ils dégustèrent. L'homme aborda le cœur de leur discussion à la dernière bouchée de son assiette.

« Je suis un peu étonné de voir une grande famille s'intéresser aux humains. Les Hohenhoff ont changé de position à ce sujet ? »

La sorcière afficha une expression à la limite du dégoût et s'empressa d'expliquer :

« Merlin, non, bien sûr que non. Nous n'en voulons pas dans la Fédération, ils n'y ont pas leur place. Cela n'empêche pas d'éprouver de la compassion pour eux. Je ne suis pas un monstre... Tout stupides que soient les humains, ils restent des êtres conscients, ils ont le droit de vivre.

— Stupides ? »

Le directeur de l'enclave parut sincèrement surpris par l'insulte.

« Vous ne pensez pas ? Se lancer dans telle entreprise sans certitude de réussite...

— N'ont-ils pas été chassés de Bretagne ? »

Amalia haussa les épaules. Si un trait caractérisait sa famille, c'était bien son dédain face aux conséquences de la politique anti-humaine menée depuis des années par l'Ordre.

« Leuthar débarrasse nos Terres, merci à lui. Je reste persuadée qu'ils ont le droit de vivre, si pas décemment – car il ne fallait pas s'installer dans un désert s'ils escomptaient vivre décemment, n'est-ce pas ? – au moins avec le minimum vital. Si je peux, ici, leur apporter une stabilité qu'ils sont incapables d'atteindre seuls, je le fais de bon cœur. »

La jeune femme perçut alors tout le mépris que ressentait Liu pour ce type de discours, tout le dédain qu'elle lui inspirait ; comme une amertume écœurante au fond de la gorge et une acidité vive dans sa bouche. Elle ne s'y attendait pas et hésita à nuancer son propos, mais Akio Liu ne lui laissa pas le temps de répondre :

« Je vous comprends très bien. Maintenant, votre entreprise n'est pas sans risque pour moi. Que suggérez-vous ? »

Amalia sourit, charmante, et croisa les doigts sous son menton dans un geste d'assentiment parfaitement calculé. Tout se vendait, y compris les idéaux. Elle avait surpris un éclat vif dans les yeux de l'homme persuadé de se jouer d'elle. Il jubilait à l'idée de la faire payer cher pour ses propos racistes.

« J'ai beaucoup d'argent », confia-t-elle

Elle appréciait tout particulièrement le tour inattendu que prenait son jeu. Elle qui pensait trouver un écho au discours de sa famille, découvrait à la place une vive résistance envers ces vieilles pratiques. L'homme remontait dans son estime, mais cela ne changeait rien à son plan : si, d'une façon ou d'une autre, le directeur de l'enclave acceptait de se laisser corrompre, elle gagnait la partie.

La Sorcière d'AonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant