C'était arrivé un matin, sans prévenir. Les nouvelles les plus destructrices sont toujours celles que l'on attend pas. Parce que l'on ne peut pas s'y préparer. Elles rasent en un instant l'ensemble d'une vie comme si c'était un simple château de cartes. Ridicule.C'était arrivé un matin, quand Théo s'était rendu à son travail. Un matin comme les autres. Pour Théo son travail s'était toute sa vie même voir plus. Rien d'autre ne comptait, rien d'autre que son travail et ce avant même qu'il ne soit employé dans cette entreprise.
Quand il était enfant, il ne vivait déjà que pour ça, pour le travail. Théo n'avait pas d'ami et il s'en fichait. Il ne les cherchait pas particulièrement sans les éviter. Mais les autres enfants eux l'évitaient. Peut être parce que Théo ne leur parlait pas, jaimais. Théo ne passait son temps qu'à travailler, à étudier. C'était à cette époque déjà toute sa vie. Il se fichait des souvenirs heureux dont il se souviendrait des années plus tard avec nostalgie, de toute façon Théo effaçait chaque souvenir pour les remplacer pas ses cours. Théo ne se focalisait que sur le travail, sur ses études.
Ensuite Théo était parti de chez lui pour les études supérieures. Il s'était enfui dès sa majorité, dès qu'il en avait eu l'occasion. Sa famille avait été triste, pas Théo. Ce fut une libération. Les études supérieures c'était encore plus de travail, et Théo aimait le travail. Il ne pouvait supporter de vivre en sachant que son travail n'était pas terminé. Et quand par malheur il n'avait plus rien à faire alors il sentait une boule se former dans son estomac et son cerveau créait des scénarios loufoques. Peut-être que Théo avait oublié de faire une partie de ses devoirs ? Avait-il une réunion en ce moment même sans qu'il ne soit au courant ? Mais c'était impossibles parce Théo faisait toujours l'ensemble de son travail, même plus. Jamais il ne faisait d'erreur. C'était interdit.
Enfin après des années Théo avait eu un travail, un métier. Il était occupé tout le temps, et il n'avait pas de vacances interminables comme à l'école. Seulement du travail, encore et toujours. Théo n'était plus allé voir ses parents à partir de ce moment là, il n'était déjà jamais allé les voir pendant ses études loin de la demeure familiale. Théo était entièrement pris par ses cours et après son métier, il ne faisait plus rien d'autre. Chacune de ses actions, chacune de ses décisions, étaient prises en fonction de son métier.
Alors là, quand Théo apprit cela, quand il apprit qu'il n'avait plus de travail, qu'il était sans emploi, il le vécut comme la nouvelle la plus destructrice qu'il n'eut jamais reçu. Sa vie fut rasée. Lui se retrouvait sans emploi, au chômage. Il se retrouvait sans rien. Il ne sut plus quoi faire. Il n'avait plus de métier, plus de travail pour l'occuper. Il n'avait plus rien que lui et ses connaissances. Aucun souvenir heureux pour se remonter le moral, ni même de moment triste en tête pour relativiser. Il n'avait rien que ses cours qu'il avait si bien appris et des informations à propos de son métier, de son ancien métier.
Alors Théo déambula, sans but car il n'en avait plus. Il marcha d'abord dans son quartier, quartier qu'il n'avait jamais pris la peine de visiter. Pourquoi le visiter d'ailleurs vu qu'il avait son travail ? Mais aujourd'hui il n'avait plus de travail, plus rien, alors vagabonder dans un quartier ne serait pas une si grande perte de temps. Son temps. Son temps ne servait plus à rien, à rien du tout.
Théo découvrit à ce moment là qu'il n'avait plus de vie, et que peut être finalement il n'en avait jamais eu. Sa vie c'était son travail, mais est-ce que cela ressemblait réellement à une vie ? Théo doutait en voyant les gens dans la rue, les gens qui parlaient entre eux d'autres choses que de leur emploi ou qui faisaient plus que de rapides discussions polies. Théo douta sérieusement, et quand il vit une personne lui sourire au détour d'un café il douta d'autant plus. Il fut même certain.
Théo se dit alors que non, il avait une vie. Il avait ses collègues de travail tout d'abord ! C'était une vie ça, une vie sociale ! Oui mais il ne connaissait que leurs prénoms, et encore pas tous. Il n'arrivait même pas à se remémorer les visages des personnes avec lesquelles il travaillait. Mais il avait sa famille ! Sa famille était là pour lui, elle tenait à sa vie, parce qu'il en avait une ! Certes il ne l'avait pas vue depuis des années mais il pouvait renouer le contact. Il était sûr que ses parents l'accueilleraient à bras ouverts. Oui Théo avait ses parents, il avait une vie. Il n'avait pas que son travail, il avait ses parents.
Théo se rendit dans son ancienne demeure pour se prouver de l'existence de sa vie. Il allait revoir ses parents. Quand il arriva il trouva la maison radicalement changée et les voitures neuves. Il ignora et alla sonner à la porte. Ce ne fut ni sa mère ni même son père qui lui ouvrit. Ce fut une inconnue, une femme d'une trentaine d'année que Théo était certain de n'avoir jamais vu de sa vie.
-La maison à été vendue il y a de cela trois ans monsieur, je ne sais pas où ont déménagé les anciens propriétaires désolée.
C'était les seules paroles qu'avait prononcées la femme à Théo avant de fermer la porte. Elle ne lui avait pas plus parler. Elle avait seulement dit la deuxième annonce qui détruisit les espoirs de Théo. Sans ménagement. Sans même se rendre compte de l'effet qu'avaient eu ses mots. Et Théo n'arrivait même pas à l'en vouloir pour cela. Cette femme ne le connaissait pas, elle n'était personne pour lui. Pourquoi l'aurait-elle aidé ? Comment aurait-elle pu remarquer la detresse de Théo ? Non maintenant Théo était seul. Il avait d'ailleurs toujours été seul. Mais il ne s'en rendait compte que maintenant, que maintenant alors qu'il avait désespérément besoin d'aide.
Théo rentra jusqu'à sa voiture, et quand il fut dans celle-ci il pleura. Il pleura longtemps, beaucoup. Il pleura pour son emploi perdu. Il pleura pour la vie qu'il n'avait finalement jamais vécu. La vie qu'il n'avait même pas la force de commencer puisque personne n'était à ses côtés. Il pleura pour les proches qu'il n'avait jamais voulu et qui finalement avaient décidé d'abandonner eux aussi. Il pleura pour son égoïsme, son ignorance, sa froideur et tous les autres défauts qu'il se savait posséder. Il hurla et cogna pour essayer de tout faire partir. Il cogna pour faire fuir ces horribles pensées. Il pleura de nouveau quand il se rendit compte que tous ses regrets étaient encore présents malgré ses coups.
Théo pleura longtemps avant qu'il n'entende frapper contre la vitre de sa voiture. Il pensa tout de suite à la nouvelle propriétaire de la maison qui devait être venue pour lui demander de partir de chez elle. Un soupir lassé, désespéré parvint à ses lèvres. Comme un gémissement. C'était sûrement un gémissement, ou un appel à l'aide. Un appel à l'aide auquel Théo était certain que personne n'allait répondre. Mais il tourna tout de même son regard et vit alors un visage. Pas le visage de la nouvelle propriétaire, un autre visage. Un visage qu'il sut qu'il n'oublierait jamais. Il sut que ce visage était plus qu'impoetant à l'instant même où il le vit. Un visage ouvert, souriant. Un visage qui lui parla avec intérêt et peut être même inquiétude ? Un visage qui avait définitivement l'air d'avoir entendu l'appel à l'aide de Théo.
-Est-ce que tout va bien monsieur ?
Et Théo vécut à partir de cet instant là.
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Crises
PoetryUne crise est qualifiée comme "une situation marquée par un trouble profond" accompagné d'une "manifestation forte d'un sentiment". Elle peut se manifester sous une grande diversité de forme et toucher tout milieu social. Tous peuvent être touchés p...