Trente-quatre.

455 51 21
                                    

Salam.

Au sixième étage.

J'avais rassemblé toute les infos nécessaires.

J'avais trouvé les noms et prénoms de tous mes proches, numéros de téléphone, adresse postale et mail. Je savais où je devais me rendre, je savais qui je devais voir en premier.

J'avais rédigé une liste. D'abord mon frère Haroun qui n'a jamais cessé d'éspérer mon retour. Puis ce serait autour de mes amis d'enfance tout ce qui ont participé aux marches blanches et battues qui m'étaient dédiées. Enfin, j'avais prévu de voir ma mère en dernier elle était retournée vivre dans son pays natal depuis un an maintenant.

Tout était planifiée. Ma venue dans la cité qui m'avait vu grandir, mon dépôt de plainte juste avant, la négociation de ma protection contre des informations sur les Belgacem et toutes la bande. J'avais tout prévu et tout découvert.

Moi Hafsa Sy j'avais grandi dans un quartier solidaire et très vivant en rivalité depuis toujours avec celui d'en face, la cité rouge. J'avais un groupe d'amis qui criait au girl power dès le plus jeunes âges. Les reines de la cours de récré, se pensant dominatrices avec la fameuse « les filles les plus belles les garçons... ». C'était nous, on aimait racketter la monnaie de nos grands frères mais bien moins se faire voler nos goûters.

Je me souviens encore de nos squats sur les bancs au milieu de la Cité. De lointains souvenirs m'ont permis de me rapeller que Badr et Samir faisaient partis de notre bande. Ils étaient les seuls mecs acceptables de leur quartier. Ils venaient de la cité rouge mais ils n'étaient pas comme eux disait-on.

Je me souviens qu'avec Taysir on était très proche. Pas comme une couple de jeunes ados prépubères mais plutôt comme un frère et une sœur. J'étais la seule à qui il se confiait autant notamment sur l'attention qu'il portait à ma super pote. Il était en kiffe sur elle et elle faisait la guerre contre lui.

Il y avait aussi Maïmouna qui sortait avec ce mec toxique qui lui pourrissait la vie. Combien de fois s'était-on disputée à cause de lui, il lui avait fait perdre la tête. Je n'oublie pas les autres filles avec qui j'avais été moins proches mais qui ont quand même compté pour moi. Imen, Sally, Médina, Fatou, Sirine mais aussi mes potes Aymen Doumam Younes avec qui j'ai fait les plus grosses bêtises. La liste est longue on était beaucoup trop nombreux à traîner ensemble.

Je me souviens de tout maintenant et avec les réseaux sociaux j'avais découvert ce que faisait un peu tous le monde dans sa vie actuelle. Mariés, parents, chefs d'entreprise ou voyageurs, tous avait prit un chemin différent. Ce qui m'a fait le plus de bien et de mal à la fois c'est que sous certaines photos de groupe on pouvait voir sur instagram, un hashtag portait mon nom toujours collé d'un « on ne t'oublie pas ».

J'ai continué mes recherches encore et encore, je suis tombée sur des photos bien anciennes sur Facebook. J'ai tellement rit et pleuré ce soir là. J'essayais de trouver le maximum d'informations pour revenir la tête pleine. Je n'avais pas dormis depuis quarante-huit heures je révisais mon retour à la cité.

J'avais prévu ça pour dans une semaine. J'étais prête, enfin. Aujourd'hui je viens d'atteindre mon vingt-troisieme anniversaire. Le temps passe à une vitesse folle.

Qui l'aurait cru, que je réussirais ? avec tous les bâtons dans les roues que m'a mit Samir je pensais jamais y arriver. J'étais fière de moi de m'être relevée pour réussir.

Après que les souvenirs de cette nuit atroce soit revenu j'étais complètement abattue. J'étais sûre que jamais je ne me relèverai. J'avais tenté de me suicider une fois depuis le toit, la seconde c'est lorsque je me laissais mourir à petit feu. Djibril m'avait traîné jusque chez cette dame pour me faire parler de mes trauma. J'avais apprit grâce à elle, même si oui j'ai craché sur elle juste après notre premier rendez-vous, j'avais apprit que mon amnésie pouvait être aussi du aux violences que j'ai subi.

Vous savez j'ai été victime de viol collectif dans une cave de la cité rouge. Samir était chargé de m'apporter jusque dans la cave et de faire le guet. Je me souviens maintenant que je lui avais supplié yeux larmoyants de me laisser fuir discrètement en promettant de ne jamais rien dire et ce juste après qu'ils m'aient souillée.

Allongée presque nue et poisseuse sur un matelas à l'odeur de pisse et de transpiration, à côté d'une chiche encore chaude et de bouteilles d'alcool. Il m'avait donné de quoi boire et dit qu'il m'aiderait.

C'est ce qu'il a fait, puis il en est devenu fou.  Le voilà aujourd'hui atteint par ce qui ressemble à un dédoublement de la personnalité. À force de passer du Samir aux ordres de Scorpion au Samir marié sa tête a explosé.

J'ai aussi compris par la suite pourquoi mes premières nuits avec Samir étaient aussi anxieuses. Et pas seulement où l'on partageait des moments intimes. Pareil pour ma fausse couche et ma difficulté a concevoir, j'avais peur de porter l'enfant d'un de mes trois bourreaux. Mon corps se défendait du mieux qu'il pouvait.

Djibril n'est plus là depuis bientôt un mois. Je n'ai pas eu de nouvelles de lui. Je me suis fait à l'idée qu'il n'était plus en vie comme il m'a dit de le faire si je ne savais plus rien de lui au-delà d'une semaine.

Il me manquait énormément j'espérais secrètement qu'il ne lui était rien arrivé de grave même si le temps me faisait perdre espoir. J'aurais aimé qu'il soit là le jour où je rentrerai. J'avais imaginé ce grand moment avec lui, l'étape la plus importante de ma vie j'avais prévu qu'il soit à mes côtés pour me soutenir dans ma quête. Je voulais dire et montrer à tous le monde que c'est grâce à lui ! c'est lui qui m'a donné la volonté de continuer. C'est Djibril qui m'a relevé à chaque fois que je baissais les bras. Il y est pour quelque chose dans la trouvaille de mon bonheur. Je lui dédie déjà cette journée mais aussi à toutes nos disputes, nos crises, nos regards et nos rires. A toutes ces fois où on s'est enfui de maisons et appartements pour tenter de réaliser mon rêve, à toutes ses longues routes et courtes heures de sommeil. Je prie Dieu pour que l'on se retrouve un jour si ce n'est sur terre ça sera dans l'au-delà.

Je gardais précieusement ces souvenirs qu'il m'avait laissé, ce baiser sur front qu'il m'avait fait, ce regard et se clin d'œil qu'il m'avait accordé. Et comme pendentif à mon collier cette bague qu'il voulait que je remplace par celle qu'il détestait voir.

Je l'ai aimé sans le savoir. Cet homme méritait de savoir que je léguerai ma vie pour le revoir ne serait-ce que quelques secondes. J'avais vécu des choses fortes en un an et demie avec lui. Des choses qui m'ont retourné le cœur, qui ont bousculé mes émotions.

Et jusqu'à ce que le Ciel le permettra, mon cœur continuera de s'accrocher à lui.

-

Hafsa.

Disparue - HafsaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant