Salam.
Je cours depuis déjà une bon bout de temps sans me retourner sans savoir vers où le chemin que je tente de me frayer me mène. Il fait à peine jour et je traverse un champs de sapins sans rien y voir.
Il fait froid et j'ai l'impression de m'éloigner de tout lieux de vie ou territoire habité. Mes larmes coulent en même temps que je cours, nus pieds, dans cette forêt. Des éraflures créent des picotements sur la paumé de mes mains, ma robe s'est légèrement déchirée après s'être accrochée à une plante épineuse. Mon corps menace de lâcher à tout moment.
Je ne sais pas si Samir m'a laissé une occasion intentionnelle de m'enfuir ou si ce n'était qu'un oubli de sa part mais hier le trousseau de clefs n'a pas été retiré de la porte. Ce matin très tôt une fois ma prière de l'aube effectuée j'ai prit le risque de franchir cette porte maudite et j'ai traversé la forêt.
Et depuis, je cours sans savoir où aller. Je pense m'être perdue j'essaie de repérer un quelconque bruit me permettant de me repérer mais j'ai peur de m'arrêter et de me faire rattraper.
Et puis soudain j'entends une voiture passée non-loin d'où je me suis arrêtée pour reprendre ma respiration et essuyer quelques larmes. Je grimpe. J'échelonne le tas d'ordures délaissé sur le bas côté de la route.
Ça me semble interminable. Plus je monte, plus mes pieds s'enfoncent dans le mélange de terre, de verdure et de déchets. J'ai l'impression de vivre les derniers instants cruciales de ma vie. C'est la même boule au ventre que j'ai ressenti la fois où j'ai décidé de quitter l'appartement.
Et puis me voilà, après une trentaine de minutes de course et une bonne dizaine de minutes à gravir ce faux muret, me voilà enfin toucher le goudron. Je marche dangereusement sur le bord de la route d'un pas ni déterminé ni équilibré.
J'ai soif j'ai froid mon ventre crie famine je suis désemparée mais je semble très libre.Je continue de marcher jusqu'à arriver en centre-ville. Un premier panneau m'indique où je me trouve : je suis dans le sud de la France. Je ne sais pas où je dois me rendre ni comment je dois m'y prendre mais je pleure. Je pleure de tristesse et de joie, de souffrance et de gaieté. J'ai l'impression de renaître de mes cendres en voyant tous ce monde. La ville est peuplée pourtant il n'est que très tôt mais je n'ai jamais été aussi heureuse que de croiser des gens. Même si les regards qu'ils me portent sont méprisants je suis heureuse qu'ils m'en accordent. Je suis vivante, moi Hafsa, après trente-six jours en captivité.
Je m'asseois par terre près d'un magasin et ne réclame rien de plus que respirer l'air frais et polluante de cette grande ville.
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Les jours défilent.
Je n'ai rien quémander d'autre que la préservation de ma liberté. Je suis restée assise une journée entière à remercier le Ciel de m'avoir libéré. On m'avait maladroitement jeté quelques pièces au sol sans que je n'en demande rien.Au début ça fait bizarre mais très vite on s'y habitue. Les regards de pitié qu'on vous accorde et dans leur tête ils se demandent comment vous avez pu en arriver là. Ils meurent tous envie de connaître votre parcours, de savoir quel a été l'élément déclencheur de votre chute.
Et puis il y a ceux qui remercient Dieu de ne pas s'être retrouver comme moi, âgée d'une vingtaine d'années seulement et sans domicile.
D'ailleurs être une femme à la rue c'est être susceptible d'être une victime de quelconque agression ou violence, à chaque instant à chaque seconde. Entre ceux qui vous prennent pour des travailleurs du sexe et ceux qui ne savent pas calmer leur pulsion. Le sommeil quant à lui n'apporte jamais la paix ; il est source d'angoisse. La fatigue se présente et on se demande si on va trouver un parking ouvert pour pouvoir y passer la nuit en toute sécurité. C'est dingue mais l'ordre de priorité et de danger est totalement différente en l'espace d'une dizaine de jours.
C'est ça apprendre à survivre ?
Il y a encore quelques temps ma plus grande peur était de mourir seule enfermée entre les quatre murs d'une chambre au décor macabre. Aujourd'hui j'ai peur de mourir de froid, de faim, seule, d'être une nouvelle fois victime d'attouchement ou d'abus sexuel, j'ai peur que mon corps soit retrouvé inerte entre deux bennes à ordures.Je suis assise non loin du décor qui se présente face à moi et soudain tout change. Un vaste étendu de mer bleue. Ce grand bateau de croisière qui semble luxueux. Le soleil tape faussement sur mon visage, les mouettes chantent, l'odeur du port valse mes narines. Le ciel lui est un bleu magnifique, il est le reflet de la mer, son miroir le plus précieux. Quant à la verdure elle dépasse du cadre, un ou deux palmiers prêt à faire tomber leur noix de coco. Et tout en bas, juste au dessus du port de la presque île est écrit « Air France ».
C'est donc cette compagnie qui, en l'espace de quelques minute, m'a laissé rêver d'un voyage sur une île. Le sable chaud sous mes pieds, les coquillages qui s'entassent, quelques crabes non loin des châteaux de sables d'enfants. C'est cette campagne qui m'a laissé croire qu'un jour, je pourrai m'allonger sur un transat dans une robe blanche à voile, seule ou accompagnée de celui qui voudra bien m'aimer. Cette grande image m'a laissé entendre d'un jour je pourrais me permettre de laisser ma peau bronzer après avoir appliqué une couché d'huile bronzante.
Et puis soudain un grand bus vient cacher la pancarte. Plus de plage plus de sable chaud, plus d'écume de mer qui se jette sur le bord, pas de rire d'enfants courant après un cerf-volant ni de petite sieste précédent un massage. Rien de tout ça. Je suis là, assise à cet arrêt de bus, sur un banc aussi dur que du béton, obligé de cacher mon corps dans la peur qu'on me reconnaisse ou qu'on sache que je suis une femme. Je suis assise dans ce froid encore supportable pour l'instant, sans une tasse de thé pour me réchauffer ni même une soupe pour la même chose.
Rien de tout ça, il faut que je me réveille. Que je prenne conscience que la vie de rêve est finie. Le temps où je confectionnais des petits plats pour quelqu'un est revolu. Plus de chaleur corporelle ni même celle d'un four, plus qu'un cœur pour espérer un jour sans sortir.
[...]
La nuit tombe la ville est beaucoup plus silencieuse. Les dangers apparaissent et sont presque incontournables. Le soleil s'est couché depuis trois heures maintenant. Plus de ciel bleu ni de nuages et leurs paréidolies.
Je passe une nouvelle nuit dans l'insécurité.
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Hafsa
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Disparue - Hafsa
Fiction généraleHafsa Sy, jeune fille ayant subie un grave traumatisme supprimant ainsi une grande partie de sa mémoire. Mariée à celui qui lui permet d'avancer, elle aime à un point où cet amour semble parfois excessif. Elle lui doit tout mais surtout le bonheur p...