Chap 30, Saint Paul dans tous ses états

38 4 55
                                    

Theodorus était toujours perché en haut de la Vierge de fer quand un des vieux grabataires se leva brusquement :

– Là haut ! Sur le balcon de l'organiste ! On nous espionne !

Theodorus se tassa contre la chevelure métallique de l'immense statue, jetant un œil prudent entre les pics de la couronne. Des hommes armés vêtus de noir et d'étranges armures et masques de cuivre, jusqu'ici cachés dans les coins de la nef, surgirent pour se ruer vers les deux espions du Sycomore et de Phi.

Faites que Cendre ne se fasse pas prendre ! Il était toujours caché dans les organes de l'orgue...

Les deux espions, l'un brun et l'autre roux, déboulèrent de leur planque et fondirent sur l'autel sur lequel étaient rassemblés des documents, tentant le tout pour le tout. Probablement les points clés de la réunion et des futures intentions du clergé, et les deux hommes comptaient bien en profiter. Les hommes armés, qui jusque là n'avaient pas eu le temps d'agir depuis les sombres recoins de l'église, passèrent à l'action.

Theodorus en compta douze.

« Ces deux gars ont intérêt à être des génies dans l'art de se sortir de situations désavantageuses où l'on risque sa vie, pensa le journaliste. Ou en tout cas à être plus doué que dans celui de l'espionnage. »

Les membres du clergé hurlèrent des ordres incompréhensibles sur les hommes armés, dont l'idée globale semblait être de stopper ces intrus.

Un des deux espions, le roux, bondit sur un vieux au crâne dégarni et à la panse importante qui s'avéra être l'évêque de Canterbury en personne, et le plaqua contre le sol. Son pistolet se braqua sur le front dégarni.

– Tout le monde s'écarte, genoux à terre et mains derrière la tête.

Les autres membres du clergé qui s'étaient tournés vers leur confrère en détresse s'arrêtèrent net, avant de faire quelques pas en arrière. Les hommes de main, eux, semblèrent hésiter et s'immobilisèrent sans pour autant s'agenouiller.

Le second espion prenait les documents pour les mettre dans une pochette cartonnée sortie de sa besace.

– À genoux, les mains derrière la tête, ou je m'arrange pour que le petit évêque ait rendez vous avec son dieu plus tôt que prévu ! répéta le rouquin dont le pistolet faisait apparaître une veine saillante sur le front du concerné.

Pour accentuer ses paroles, l'espion appuya un peu plus son arme sur le crâne du religieux et défit le cran de sécurité. Un gémissement pitoyable s'échappa du vieil homme.

– Écartez-vous, geignit-il à ses collègues d'une voix tremblante et faible. Ne dérangeons pas sa Seigneurie pour des affaires qui peuvent se régler de manière... Plus conventionnelle.

Les autres obtempérèrent.

– J'ai dit à genoux et les mains derrière la tête insista l'espion roux avec un sourire narquois. Ah ! Et les armes à terre ! Où avais-je la tête !

Les hommes de main ainsi que les autres membres du clergé obéirent et laissèrent tomber leur armes au sol.

« Ce salaud a retourné la situation à son avantage avec une facilité déconcertante, songea Theodorus qui observait et notait tout ce qu'il voyait depuis son saint perchoir. Espérons que la situation ne devienne pas trop dramatique non plus, on serait pas dans la mouise. Quoique ça ferait un très bel article. » Ça faisait longtemps qu'il n'avait pas écrit un bon reportage, et avec ça il avait matière à faire.

« C'est un audacieux, celui-là. Je l'aime bien mais je crains qu'on ne puisse difficilement faire copain-copain. » pensa Cendre qui profita de ce remue ménage pour se trouver une cachette plus pratique que les engrenages de bois et les soufflets de l'orgue qui lui laminaient le dos.

Son dévolu se porta sur un renfoncement dans le mur juste à coté de l'imposant instrument qui n'était que peu éclairé, et suffisamment loin du passage pour que personne ne se rende compte de sa présence en levant la tête par inadvertance. D'ici, il pouvait se délecter de la scène qui se déroulait plus bas.

– Toi, passes moi les documents ! ordonna l'espion au pistolet à l'espion à la besace.

Un instant d'hésitation et d'incompréhension plana dans l'air. L'espion à la besace lui passa la pochette qui contenait les précieux documents. L'ambiance était tendue, et Theodorus notait tout ça tellement hâtivement que son poignet commençait à se faire douloureux. Mais le journaliste, entraîné par la tension qui dégoulinait de l'église Saint Paul, ne pouvait s'arrêter. Il ne pouvait pas se permettre de prendre le risque de manquer la moindre miette d'information.

À ce moment là, un claquement de mains sinistre provenant de la porte par laquelle étaient entré tous les espions de cette assemblée vint ajouter quelques degrés de plus au tensiomètre de l'église, faisant sursauter toute cette bande de joyeux drilles. Les applaudissement furent suivis du claquement de semelles qui vinrent frapper la mosaïque du sol d'un rythme lent, trahissant une aisance et une confiance débordante.

Une grande silhouette se décousit du fond sombre dans lequel elle était tapie jusque là. Lorsqu'elle posa les pieds dans le déambulatoire, les lampes à pétrole daignèrent enfin laisser leur lumière dessiner les traits du visage de cette silhouette.

Un nez droit. Des pommettes hautes. Un anneaux accroché à l'oreille gauche sur lequel était fixé une pierre noire. Des yeux d'un bleu terne. De courts cheveux noirs grisonnants se hérissant sur sa tête. L'homme portait un simple costume trois pièces noir, et il tenait en main une canne sombre au pommeau argenté qu'il maniait avec l'assurance d'un roi.

– Bravo ! Bravo, Charles, pour cette opération parfaitement menée ! clama l'homme d'une voix puissante et sans faille où perçait un petit accent français. Laisse moi donc prendre le relais, je me dois d'entamer les négociations.

Cendre, depuis sa cachette haut perchée, pouvait à peine distinguer l'homme. Il ne voyait que son dos et le haut de son crâne. Cependant, lorsque la voix de cet individu atteignit ses oreilles, ses yeux s'écarquillèrent. Il connaissait cette voix et espérait ne plus jamais l'entendre. Cette voix constituait à elle seule une facette sombre d'un passé que Cendre avait pris soin d'oublier.

« Que fait-il en Angleterre ? N'avait-il pas suffisamment à faire en France ? » pensa Cendre sans pouvoir détacher son regard de la flegmatique silhouette à ses pieds.

Au fur et à mesure qu'il s'avançait vers l'autel au milieu du chœur, d'autres hommes apparurent, eux aussi habillés de longs manteaux noirs. Au total, six ombres se détachèrent du fond.

~~~~~~

Author's note :

• Déambulatoire : allée en arc de cercle qui entoure le chœur, à la tête d'une église, là où se trouve l'autel.

• Dans notre histoire, nous avons placé l'orgue contre le mur latéral au chœur, et la Vierge Mécanique se trouve entre les trois chapelles et le chœur. La porte par laquelle entrent tous nos personnages se trouve à l'angle entre le mur de l'orgue et les chapelles, et n'existe pas dans notre réalité : elle a été ajoutée dans ce Londres alternatif afin de communiquer avec la chapelle de Saint Paul, le bâtiment plus petit par lequel sont entrés Cendre et Theodorus. Les souterrains datent de là aussi.

 Les souterrains datent de là aussi

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.
De la Cendre sur les toits de LondresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant