Chap 18, le collectif Angelo Diablo

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Theodorus se redressa. Son visage s'assombrit en entendant les paroles du voleur. La rage l'habitait. Mais ça, le voleur ne le vit pas.

Theodorus refusa la main qui lui était tendue, et la repoussa agressivement, ré-attirant l'attention du voleur sur lui. Il parvint à se relever sans trop de difficultés, sa rage lui faisant oublier sa douleur à l'épaule.

Une fois sur ses pieds, il envoya son poing dans la mâchoire du voleur avec toute la puissance dont il disposait. Cendre se prit le coup sans comprendre se qu'il se passait. Puis il sentit deux mains l'empoigner.

- Salaud ! vociféra Theodorus, tu n'es qu'un salaud ! (Ces mots dégoulinaient de colère et de frustration.) J'ai failli crever de peur !

Le sourire de Cendre retomba en même temps que sa joie première. Il agrippa les mains de Theodorus.

- Lâche moi. (Sa voix était la même que lorsqu'il avait menacé l'homme maintenant inconscient à leurs pieds. Theodorus relâcha sa prise à contrecœur.) Ça ne serait pas arrivé si t'avais pas voulu jouer les héros.

Theodorus ne put s'empêcher de serrer les dents

- Alors ça serait de ma faute si je me suis retrouvé dans cette situation ?! s'énerva le blond.

- Totalement. Et lâche moi, tu vas empirer ta blessure.

Comme pour souligner ces dires, un jet de sang gicla de l'épaule du journaliste, propulsé par la tension de ses muscles énervés. Puis l'adrénaline le lâcha pour de bon et la douleur revint à la vitesse d'une météorite, le frappant de plein fouet.

L'ascenseur émotionnel et sa blessure l'avaient épuisé. Son esprit était embrouillé. Ses pensées, tortueuses et inachevées. Penser lui était devenu difficile. Theodorus ferma les yeux et s'adossa au séquoia près de lui. Il était fatigué.

Des points noirs commencèrent à danser devant les yeux de notre journaliste tandis que sa blessure pulsait sa douleur dans tout son corps. Lui, au contraire, s'endormait d'un sommeil comateux.

Theodorus voulut résister à cette torpeur lourde et poisseuse. Il restait encore tant de choses à gérer. Ils étaient en plein dans un lieu ennemi, Londres était plongé dans le chaos et ils étaient sur le point de comprendre qui en était responsable, ce n'était tout de même pas le moment de s'endormir, que diable !

- Il faut que tu répondes à mes questions, voleur, murmura le blond. Il faut...

- Calme toi, journaliste. T'es pas en état.

Theodorus voulut répondre mais ses forces l'abandonnèrent tandis que la douleur lui vrillait le crâne. C'est alors que tout devint noir.

***

La première sensation qu'il perçut fut une odeur de vieux bois. Puis la douleur. Quoique, elle lui sembla moins invivable que la veille.

La veille ? Qu'est ce qui lui prouvait que c'était la veille ?

Nouvelle sensation. Une odeur de nourriture. De manger. De bouffe. De miam-miam. Quatrième sensation : la faim.

C'est en sentant son estomac interpréter la chevauchée des Valkyries de Wagner que Theodorus se résigna à ouvrir les yeux.

Un plafond incliné en bois. Et des murs en bois. Une fenêtre, en bois aussi.

Il était dans un lit, baigné d'une douce lumière chaude. En tournant la tête, il vit le dos d'une femme, en train de peindre sur un chevalet. La pièce autour d'elle était une petite salle sous les combles, aux trois murs de planches et au dernier recouvert d'un crépis plutôt passé. Ces murs étaient abondamment recouverts d'esquisses et de dessins représentant des parties de corps, d'animaux, de paysages et d'architecture, dans un style pas vraiment réaliste mais très agréable à regarder. Depuis son lit, il pouvait voir par la fenêtre les toits crachant de fins filets de fumée. 

«...» fut tout ce qu'il arriva à prononcer. Mais ça sembla quand même interpeller la jeune femme qui se retourna.

C'était une femme métisse aux indomptables cheveux noirs tenus par un foulard rouge. Elle s'approcha et lui tendit un verre d'eau jusqu'ici posé dans un plateau qui attendait patiemment à côté de son lit.

- Bois, ça ira mieux, dit elle gentiment.

La seule réponse que lui offrit Theodorus fut un formidable gargouillis qui la fit sourire. En riant doucement, elle lui tendit le plateau sur lequel reposait une pomme et UNE ASSIETTE DE RAGOÛT D'AGNEAU !! Le jeune homme l'attrapa et l'engloutit sans demander son reste, trop heureux de ce moment de bonheur simple.

Une fois l'assiette vidée et léchée, le blondinet se tourna vers sa sauveuse.

- Qu'est ce que je fais là ? On est où ? Et vous êtes qui ?

- Calme toi, rit-elle en regardant sa bouche pleine de sauce. (Elle s'assit au bord du lit.) Tu es chez moi, au collectif d'artistes "Angelo Diablo", dans la banlieue ouest de Londres. C'est une résidence où on est plusieurs, des artistes mais aussi des gens qui ont besoin d'aide ou ce genre de choses. Je m'appelle Gladys. Je suis peintre, ajouta-t-elle avec une coup de tête vers sa toile.

Celle ci était recouverte d'un fouillis de traces de pinceau sans pour autant représenter quelque chose. Theodorus trouva quand même cela assez beau.

- Comment je suis arrivé ici ? demanda-t-il, se souvenant de la serre et de sa blessure. Vous m'avez soigné ?

- C'est Cendre qui t'as ramené. Tu étais en mauvais état alors on a du s'occuper de toi. Pour le moment il dort, il faut dire que ça l'a épuisé de te porter jusqu'ici.

- Cendre ? (« C'est donc ainsi que se nommerait mon voleur? »)
Il dort encore ? Depuis combien de temps je suis là ?

- Une nuit et un jour, mais c'est un gros dormeur, rit Gladys. Allez, repose toi. Tu as beau être solide, ton corps a besoin de dormir.

D'un geste, elle le repoussa dans ses oreillers, et Theodorus se rendormit presque aussitôt.

Il fut réveillé ensuite par des éclats de rires. Il faisait maintenant nuit dehors. Gladys était assise dans un vieux fauteuil dans un coin de la pièce tandis que le voleur avait pris sa place sur le tabouret face au chevalet, une nouvelle toile totalement ratée posée dessus. La peintre métisse se moquait du peintre amateur, qui riait lui aussi de ses maladresses en gesticulant dans tout les sens.

- Hé, fit Cendre après avoir jeté un œil à Theodorus. Mais c'est que notre belle au bois dormant se réveille !

- C'est marrant, Gladys avait justement dit que tu étais un gros dormeur, monsieur je-dors-vingt-quatre-heures-sans-m-arrêter.

- Gladys, fit il d'un air faussement choqué en se retournant vers elle, comment veut-tu que j'entretienne mon charisme si tu divulgue de telles informations ?

La principale concernée éclata de rire en lui lançant un tube de peinture, et un sourire étira le visage de Theodorus tandis qu'un nouveau grondement s'échappait de son ventre (ce coup ci, c'était la 5ème symphonie de Beethoven).

- Bon, sourit malicieusement Gladys, j'ai cru comprendre que tu aimais le ragoût ?

Theodorus hocha simplement la tête.


De la Cendre sur les toits de LondresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant