Après une nouvelle assiette de ragoût avalée aussi vite que la première sous le regard amusé de la jeune peintre, Théodorus se tourna vers Cendre :
- Je crois qu'il faut qu'on parle, dit-il.
Cendre hocha la tête, et Gladys se leva.
- Je vous laisse, les garçons. Essayez de ne pas vous entretuer, sourit-elle.
Une fois la femme sortie de la pièce, Theodorus se tourna vers Cendre.
- Bon. Il va falloir m'expliquer tout, là. À commencer par récapituler ce qu'il s'est passé hier. Ou avant hier, je sais plus. Mais pas de cachotteries, maintenant.
Cendre s'installa confortablement dans le grand fauteuil, les jambes par au dessus d'un accoudoir.
- D'accord. Ne m'interromps pas, s'il te plaît, et je te dirai tout.
Cendre pris une grande inspiration et commença :
« Avant hier, avant que je vienne te récupérer, une bombe a fait voler en miettes le palais de la reine, sa très chère majesté avec. C'était un attentat, qui n'étais sensé viser qu'uniquement la salle de bal où une réception importante avait lieu, réception qui recueillait toute la noblesse de Londres ou presque. La bombe n'était pas sensée tuer tout le monde, juste deux trois nobles et effrayer les autres. Mais ça a déconné, et tout le palais a explosé. Regarde ça. (Il tendit au journaliste l'Acternité de la veille, à la une duquel trônait un immense cratère. Theodorus avait beau l'avoir vu en vrai, voir ce trou béant à la place du Palais en photo dans le journal rendait cela bien plus réel.) L'explosion était tellement forte que l'onde de choc a éclaté toutes les vitres de la ville.
L'explosion a été planifiée par un groupe que je surveille depuis un certain temps, appelé le Sycomore. D'après ce que j'ai compris, c'est un groupe d'anti-monarchiques qui prônent la chute de la reine pour lancer un nouveau régime. C'est inspiré d'un certain Marx, si j'ai bien compris, un allemand aux idées pas trop mauvaises, mais les manières du Sycomore sont trop dangereuses pour qu'on puisse s'y fier.
Donc je les tenais à l'œil. Ils ont plusieurs repères comme celui de la serre du jardin botanique, dans lesquels ils s'étaient contentés jusqu'ici d'imaginer un monde parfait tout en cherchant à embrigader de la populace. C'est là qu'ils se sont intéressés à moi. Je ne sais pas comment mais ils ont eu vent de ce que je faisais, et ils m'ont proposé de les rejoindre, ce que j'ai refusé. Je ne fais pas de politique.
Sauf que avant hier, ils ont mis leurs plans en route, tu étais là pour en juger. Et on dirait que l'un d'eux a voulu un peu trop bien faire puisqu'il a tout fait péter sans demander l'avis des autres.
Après, c'est là que tu as joué aux héros, et que ça a dérapé. Mais ça m'a permis de récupérer tout ce qu'il y avait sur la table. Après quoi je t'ai ramené ici, j'avais besoin d'aide pour te soigner et l'Angelo Diablo a l'avantage d'être discret en plus d'être fort sympathique.
Sauf que pendant qu'on pionçait, les choses se sont accélérées. Tiens, c'est celui d'aujourd'hui. (Il lui tendit un nouveau journal.)
Vu que toute la royauté est morte, le pouvoir est régis par la police, tous des fraîchement promus vu que les préfets étaient à la réception. Donc c'est un tout nouveau gradé, un certain Redbean, qui est au pouvoir. Une grande cérémonie funéraire a été mise en place hier pour les défunts, et Redbean en a profité pour déclarer l'état d'urgence. Pendant ce temps, il y a des manifs un peu partout et des casseurs qui profitent de l'état de panique. Et tout les nobles des campagnes se ramènent pour demander le pouvoir sous prétexte qu'ils sont cousins de la reine aux 48ème degré ou ce genre de chose.
Bref, c'est le bordel. »
Theodorus siffla longuement devant cet exposé effrayant. Il était bien d'accord avec la dernière phrase.
- Et le Sycomore dans tout ça ? Ils n'ont rien fait ?
Cendre secoua la tête.
- Ils ont tous des noms de codes, si ça se trouve ils agissent dans tout les sens mais on ne le sait pas. Peut être même que Redbean en fait partie, qui sait ?
Theodorus se laissa tomber lourdement dans ses oreillers en soupirant, accablé par toutes ses mauvaises nouvelles.
- Mais quel bordel, souffla-t-il.
Pendant un instant, le journaliste regretta presque de s'être embarqué dans cette folle aventure : il allait devenir, fou si ce n'était pas déjà le cas.
- La famille royale est morte, alors une vague de tristesse va s'abattre sur le pays tout entier. Quand le peuple est triste, il peut faire confiance aux premiers beaux- parleurs venus sans s'en méfier... En plus, les nobles vont se tirer dans les pattes pour savoir qui a le plus de sang royal dans les veines... De ce chaos va naître le malheur, conclu t-il avec pessimisme.
Cendre décala ses jambes de l'accoudoir et se pencha en avant, plantant ses coudes sur ses genoux et croisant ses mains à la façon d'un grand méchant mégalomane, avant de rajouter avec un sourire sarcastique aux lèvres :
- Et c'est pas tout, mon p'tit journaliste ! Les policiers promus et plus particulièrement Redbean peuvent très bien s'emparer du pouvoir, sous prétexte de l' état d'urgence. Et quoi de mieux qu'un état policier pour maintenir tranquille un monde effrayé et triste ? En plus, les dissensions politiques entre les nobles vont créer des embrouilles chez le petit peuple. Ça a d'ailleurs déjà commencé avec des manifestations, tu as remarqué ? Si tu tend l'oreille, tu entendras le brouhaha qu'ils font, termina Cendre avec un sourire ironique en pointant la fenêtre de son pouce.
Un long râle d'exaspération s'échappa de la gorge de Theodorus.
- C'est pas un bordel, à ce rythme là. (Entre ses doigts, il pinçait l'arrête de son nez pour calmer son exaspération.) C'est l'enfer ! Il faut faire quelque chose ! s'exclama le journaliste.
- Et comment tu comptes tu comptes t'y prendre ? souligna Cendre. Avec des fleurs et des câlins ? Avec des armes et la terreur ?
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De la Cendre sur les toits de Londres
Mystery / ThrillerTheodorus, détective et journaliste dans un Londres steampunk, enquête sur une mystérieuse série de vols dans la haute bourgeoisie. Mais tout ne se passe pas comme prévu : entre les comtesses un peu envahissantes, les complots contre la couronne et...