Theodorus sentit sa blessure se tendre à l'évocation du retour à l'ancienne. Il avait déjà suffisamment donné, non ? Une épaule trouée, ça ne suffisait pas pour le dispenser à vie d'espionnage ? Tout portait à croire que non...
– Que de bons souvenirs, hein, Theodorus ? s'enquit Cendre en claquant amicalement, mais non sans force, le dos du journaliste.
Le blond se rattrapa au billard, maudissant intérieurement son brutal associé.
– Parle pour toi, maugréa-t-il. Mon épaule me relance et mon dos est maintenant en compote à cause d'un imbécile.
– Attend, je te répare ça sans problème, j'ai quelques notions en kinésithérapie !
– Non ! Sans façon ! Ça va aller !
Il s'écarta de Cendre avant que celui ci ne puisse lui briser quelque chose.
– Mon pétit Cendre, laisse donc lé journaliste, intervint Mel en adoptant une posture défensive.
Un sourire mesquin étira les lèvres de Cendre, mais il ne dit rien.
– Bon, s'exclama Theodorus en chassant le silence qui venait s'installer doucement. Je vais retourner chez moi continuer l'enquête de mon côté, et je reviendrai si j'ai quelque chose de nouveau.
Il sortit de l'Angelo Diablo et une bourrasque de vent lui apporta une odeur salée et humide. Le vent de la mer. L'effluve marine qui remontait par la Tamise était signe de tempête. Il leva les yeux vers le ciel empli de nuages sombres et menaçants. Qui commençaient déjà à gronder.
– Oh, ça n'annonce rien de bon...
Il referma son manteau et s'enquit de retourner chez lui avant le début de l'averse, en tenant son chapeau pour éviter qu'il ne s'envole.
En cheminant entre la foule pressée de quitter les rues, il remarqua un crieur qui arborait le symbole phi sur sa chemise noire aux bordures dorés.
« Un phiiste, pensa Theodorus, ces illuminés sont de plus en plus importants. »
– ... notre divinité protectrice et toute puissante a estimé que pendant trop longtemps le royaume a subi le laxisme de la famille royale, scandait l'homme d'une voix portante, puissante, pleine d'ardeur. Notre royaume sans discipline est voué à être annihilé par nos trop nombreuses inactions ! C'est pour cela que...
Theodorus jugea qu'il avait autre chose à faire que d'écouter la propagande, comme par exemple rentrer avant d'être trempé par la pluie qui se faisait de plus en plus menaçante.
Il pressa donc le pas, mais quelques minutes plus tard, les nuages décidèrent que c'était le moment idéal pour craquer, relâchant des trombes d'eau sur la ville et le journaliste alors qu'il n'était qu'à quelques rues de chez lui. Il se mit à courir, espérant vainement arriver avant d'être entièrement trempé. Belle utopie. Arrivé devant son immeuble, son chapeau ressemblait à une éponge et son manteau était dégoulinant. Il pesta bien fort contre la météo en rentrant dans le hall. Il s'arrêta devant sa boîte aux lettres, dans laquelle il trouva un prospectus aux couleurs vives.En le lisant, un sourire illumina son visage, effaçant son air grognon pour une bouille d'enfant devant un énorme gâteau.
« Venez, mesdames et messieurs ! Venez, n'ayez pas peur ! Venez voir nos formidables acrobates, nos numéros de jonglage à couper le souffle !
Venez découvrir le cirque du Soleil Rouge !
Achat des tickets à la mairie, dans la limite des places disponibles. Représentations le 4, 5 et 6 de ce mois ! »
***
Cendre, après avoir fini le rapport de sa journée, partit lui aussi pour rentrer chez lui. En errant dans les rues de Londres, un homme avec un long manteau, une écharpe et un chapeau cachant la moitié de son visage bouscula Cendre en lui glissant un papier dans une de ses poches, puis continua son chemin sans piper mot et sans se retourner.
Cendre s'arrêta pour voir ce que le papier disait, mais une pluie torrentielle commença à s'abattre sur lui. L'empêchant de lire tout de suite, il rangea le papier dans sa poche et courut chez lui. Une fois à l'abri, il défroissa le message.
« La simple bougie était autrefois suffisante pour tenir à l'écart et faire vaciller les ténèbres.
Malheureusement, cette bougie est en permanence menacée par les royalistes.Ne laissons pas les royalistes éteindre cet espoir d'un avenir meilleur.
Ensemble, protégeons notre flammèche courageuse et aidons la à devenir plus lumineuse et chaleureuse, afin qu'elle puisse éclairer et guider les âmes égarées sur le droit chemin.
Vous aussi, rejoignez l'armée de la divinité Phi.
L'Église Phiiste. »
En fond sur le prospectus était dessinée une bougie ornée du signe Φ, Phi, symbole de la divinité.
Le lendemain, au commissariat où il était assigné, Cendre se débrouilla pour aller s'enterrer dans les archives. Une fois son boulot-excuse terminé et laissé dans un coin, le voleur parcourut les multiples tiroirs et rayonnages des archives, recherchant une certaine secte. Au bout de quelques longues minutes, il finit par trouver un tiroir sur la petite étiquette duquel il était noté : « organisation non officielle, secte phiiste ».
Ouvrant le dossier, Cendre commença à farfouiller les papiers de la dénommée secte, intrigué. Il n'en avait jamais entendu parler, mais l'organisation semblait importante. Un sourire lui vint en voyant un article signé par son journaliste préféré.
Voyant l'heure tourner, le voleur rangea le dossier. Ça n'était pas important, et il avait un Theodorus tout frais à portée de main, pourquoi se contenter d'un bout de papier ?
Récupérant son dossier initial et vérifiant que sa fausse moustache était toujours bien en place, Cendre repartit. Il y avait tellement de choses à découvrir, en ces temps troublés...
***
– Qui ?
Theodorus était retourné à son cher Acternité, où les journalistes récapitulaient les nouvelles du jour. Ils ne s'en rendaient pas compte, mais leur ronde de mines concentrées était fort semblable à ce à quoi ressemblaient les conseils de l'Angelo Diablo. Theodorus avait l'impression de passer sa vie de conseils en conseils.
– L'évêque de Canterbury, William Wenceslas qu'il s'appelle, racontait le patron à Gill, le jeune stagiaire qui était totalement largué en politique. Et l'évêque est un membre important de la royauté, puisque la reine a aussi le pouvoir divin.
– Mais pourquoi il a pas pris le pouvoir avant, dans ce cas ?
– Simple question technique, c'était un tel bordel que l'administration a pas suivi, et avec le deuil de the Queen et tout ça...
« Enfin, bon, le souci là dedans, c'est que Wenceslas a des idées politiques très arrêtées, qui commencent par l'éradication de l'église catholique. Sauf que depuis le traité de 1904, l'église anglicane n'est plus la seule autorisée et les athées et catholiques sont bien plus nombreux en Angleterre, surtout depuis la paix avec l'Irlande. La garante de la paix, c'était Elizabeth II. »
– Qui est morte.
– Oui, bravo Gill, tu suis ! singea un collègue, passablement exaspéré par cette perte de temps.
– En gros, reprit le patron, cette prise de pouvoir est non contestable, mais risque d'empirer la situation.
– Ah, fit Gill en agitant ses tâche de rousseurs, perdu.
– Bon, mais du coup il y a quoi de neuf depuis sa prise de pouvoir officielle hier ? demanda Theodorus.
– On a encore très peu de nouvelles, mais l'état du pouvoir en ce moment laisserait entendre que l'évêque ait maintenant tous les droits... On n'a aucune idée de ce qu'il sera capable de faire, mais normalement, la police est sensée lui obéir...
– Ah... Ça la fout mal...
– Parle pour toi, murmura Gill. Toi, t'es protestant, moi je suis catholique...
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De la Cendre sur les toits de Londres
Mystery / ThrillerTheodorus, détective et journaliste dans un Londres steampunk, enquête sur une mystérieuse série de vols dans la haute bourgeoisie. Mais tout ne se passe pas comme prévu : entre les comtesses un peu envahissantes, les complots contre la couronne et...