Theodorus se demanda si le ton du voleur aurait été aussi glaçant si ça avait été lui qui avait posé cette question. Depuis qu'il l'avait rencontré, le journaliste lui envoyait pique sur pique sans que le voleur ne s'énerve jamais. Et Cendre ne semblait pourtant pas manquer d'autodérision ?
En voyant les épaules de Jonas s'affaisser, il comprit que n'importe qui aurait pu blaguer sur ces photos sauf lui. Cendre semblait toujours aussi tendu quant au colosse roux.
La photo faite, Roger vira tout le monde de sa chambre-atelier. Il lui fallait maintenant développer cette photo. Tandis que le petit homme s'enfermait dans cet étrange monde d'obscurité et de nitrate d'argent, le reste des squatteurs occasionnels de son labo descendit dans un des salons communs. Il était hors de question d'aller voir Oriane en attendant, la petite blonde n'en aurait été que dérangée.
À peine Theodorus se posa-t-il sur un canapé en grimaçant et portant la main à son épaule, que Jonas s'approcha de Cendre.
- Il faut qu'on parle, tu crois pas, gamin ? fit le colosse avec toute la délicatesse dont il était capable. (Cela lui donna l'air d'un automate grippé qui aurait marché sur un champs de petites briques de plastique empilables.)
Cendre était tendu comme un arc, mais hocha la tête malgré tout. Les deux hommes partirent de la pièce sous le regard peiné de Mel.
- Ah, ces deux là...
- Vous les connaissez bien ?
- Assez, mais jé né té raconterai pas leurs pétits secrets, si c'est cé qué tou veux savoir.
Theodorus soupira, un peu fort puisque la grande femme éclata d'un rire grave qui secoua ses mèches noires.
- Né t'inquièté pas, finit-elle par ajouter. Ce n'est pas si grave qué ça, entre eux. Mais les silences forment des murs. Ils étaient très proches pendant longtemps, mais un non-dit les as séparés.
Theodorus voulait de plus en plus savoir, sûrement son côté journaliste qui prenait le dessus. En attendant, les deux hommes ne revenaient pas, et Mel ne lui en dirait pas plus. Il patienta donc avec les autres membres du collectif, qui passaient de temps en temps par leur salon et étaient très curieux à son égard. Puis, la petite tête aux tempes grisonnantes de Roger fit son apparition dans l'encadrement de la porte :
- Ça y est, je les ai développé !
- Montre ? demanda Mel.
- Pas touche, je regarde en premier ! s'exclama la voix de Cendre en débarquant dans la pièce.
Le voleur s'empara de la feuille brillante que le photographe tenait, et se contempla avec un petit sourire faux sur les lèvres.
- Je suis beau comme un dieu ! fit-il avec un rire un peu cassé. Venez voir ça !
Mel se rua sur lui et s'empara de la photo.
Voir le voleur qui venait de se libérer de son costume à côté de la photo rendait un contraste saisissant. Et même si ses cheveux étaient maintenant plus courts, une fois ébouriffés, l'employé modèle fondait comme neige au soleil.
Une fois que tout le monde eut rit en contemplant ce Cendre méconnaissable, le voleur grimpa jusqu'à l'étage de Oriane, et toqua à sa porte. Theodorus le suivit, un peu perdu face à ce Cendre triste. Il ne le connaissait pas depuis longtemps, mais ce n'était définitivement pas son état normal.
Le voleur frappa deux coups à la porte 52. La tête blonde d'Oriane lui répondit avec ses habituels sourcils froncés.
Elle attrapa la feuille dans les mains de Cendre, six petits formats photos d'identité. Elle examina les petites têtes de Cendre tirées à quatre épingles.
- T'as meilleure gueule déprimé, lâcha-t-elle avant de refermer sa porte.
Cendre n'aurait pu avoir un meilleur compliment de sa part.
***
La nuit était tombée. Cendre avait disparu dans un recoin du collectif, Mel était retournée à ses activités tout comme Gladys, et Oriane n'était toujours pas sortie de sa chambre. Theodorus errait donc dans les couloirs du bâtiment, à la recherche de Jonas. Il finit par le trouver devant la fenêtre de la cuisine, fumant une pipe pensivement, le regard perdu dans la pluie de Londres.
- Jonas ? demanda le journaliste.
- Mmh ? fit le gros homme.
- Vous voulez bien me raconter la vie de Cendre, s'il vous plaît ?
Les yeux marrons de Jonas s'écarquillèrent.
- Eh ben t'y va cash, au moins.
Il se retourna vers la fenêtre, les mains enfoncées dans les poches, à contre-nuit dans sa chemise à carreaux rouges.
- En y réfléchissant, je pense pas que ce soit une bonne idée, finit-il par lâcher de sa voix bourrue.
- Mais...
- Ce sera à Phillipe de t'en parler, si il le souhaite.
- Mais...
- Écoute, gamin, je peux juste te dire ça. Cendre n'a pas eu de chance avec sa famille, et les évènements ont fait qu'il brise tout ce qu'il touche et a du mal à le réparer. Il est très solitaire, mais je crois qu'il est en train de se réparer.
- Mais...
- Écoute, ne me demande pas de t'en dire plus, d'accord ? C'est à Phillipe de t'en parler si il le désire.
- Mais...
Jonas partit de la cuisine sans un mot de plus.
«C'est malin, pensa le journaliste. Il me donne enfin la possibilité d'en savoir plus et au final, il me sort un charabia incompréhensible. J'ai encore plus de questions, maintenant !»
Au bout d'un moment où il en eut marre de ruminer sur le comptoir de la cuisine, Theodorus partit se coucher.
VOUS LISEZ
De la Cendre sur les toits de Londres
Misterio / SuspensoTheodorus, détective et journaliste dans un Londres steampunk, enquête sur une mystérieuse série de vols dans la haute bourgeoisie. Mais tout ne se passe pas comme prévu : entre les comtesses un peu envahissantes, les complots contre la couronne et...