Oriane haussa un sourcil :
- Une nouvelle identité ? De quel style et dans quel but ?
- On aurait besoin que Cendre infiltre la police, répondit Theodorus. Histoire d'avoir une taupe dans le nouveau régime.
Oriane sembla réfléchir un instant, les mains enfoncées dans les poches de sa salopette.
- Mouais, je comprend l'idée, mais vous comptez faire comment avec ta tête placardée partout ? fit-elle à l'adresse de Cendre.
Merde. Theodorus avait totalement oublié.
Cendre fit un grand sourire :
- Je compte aussi aller agrandir ma dette du côté de Mel. Elle ne pourra pas m'en vouloir avec ses penchants révolutionnaires !
Un sourire étira les lèvres des l'adolescente.
- Tu comptes mourir très prochainement ? Non, parce que moi et Mel, ça va être la fin ! Surtout maintenant que Mel s'est mise avec Jonas !
Cendre pâlit un instant.
- Jonas ? On parle du même ?
- Hééé oui ! Et il est d'une humeur de chien, surtout contre toi !
- Qui est Jonas ? demanda Theodorus.
Ce fut au tour de Oriane de s'adosser au linteau de la porte avec un sourire malicieux.
- Disons que Jonas a eut la gentillesse de s'occuper d'un ado insupportable en fugue qui l'a abandonné pour partir jouer les voleurs à Londres.
Theodorus ouvrit de grands yeux. L'idée que ce voleur ait eu une famille ne lui avait même pas traversé l'esprit.
- Bon, reprit Oriane. Je m'occupe de ta nouvelle identité. Je te demande pas de sous pour celle là, on va dire que tu vas nous payer en infos. Je crois que l'Angelo Diablo entier a envie de savoir ce qu'il se passe du côté de notre cher gouvernement. Tu viendras me donner ton nouveau visage !
Et sur ce, elle ferma la porte.
- Attend ! s'exclama Cendre. Je suis plus sûr d'aller voir Mel !
- Trop tard ! répondit la voix de la petite adolescente blonde à travers le bois de la porte.
Theodorus regarda son acolyte d'un œil moqueur. Il ne l'avait jamais vu si abattu.
- Te moque pas, journaliste de mes deux. T'as pas de soucis familiaux, toi.
Theodorus ne répondit rien, pensant à sa famille trop protectrice, au point d'en perdre le sens des réalités. Ils passaient leur temps à redouter le qu'en-dira-t-on, et donc à s'empêcher tout écart et, par conséquent, tout amusement. Theodorus les appréciait, mais n'avait jamais autant aimé la liberté qu'au moment où sa famille avait bien voulu le laisser quitter le nid.
Cendre soupira puis se remit en marche. Le duo avança parmi les chambres, et redescendit d'un étage jusqu'à arriver au premier, devant la chambre numéro 6.
Le voleur inspira profondément, puis toqua trois coups à la porte.
Une vague poisseuse de fumée s'échappa de l'embrasure sitôt qu'elle s'ouvrit. Une grande femme aux allures d'Andalouse apparut, une immense pipe de cuivre à la main. La cinquantenaire souffla un nouveau nuage puis sourit doucement, ses yeux noirs analysant le Cendre piteux face à elle.
- Cendre, sourit-elle avec son accent espagnol mêlé à sa voix grave de fumeuse. Qu'est cé qui t'amène ici ?
Elle agita ses boucles de geai et lança un œil autour d'elle.
- Tou sais qué Jonas est ici, hein ? souffla-t-elle.
- Il est là ? répondit le principal intéressé en faisant un signe du menton en direction de la chambre de Mel.
- Non, pas tout dé suite, mon ninõ. Qu'est cé qué tou veux ?
- J'ai besoin que tu me fasses un nouveau visage, fit le voleur en reprenant des couleurs.
Cendre était en train d'exposer le plan quand un hurlement se fit entendre à l'autre bout du couloir.
« PHILLIPE !! »
Aussitôt, un gros moustachu roux à la carrure de buffle se rua sur eux.
« J'AI À TE PARLER ! PETIT FILS DE SACRIPANT MOMIFIÉ !! »
- Jonas ! stoppa Mel d'un ton que même le plus désobéissant des enfants du monde aurait écouté. Laisse lé pétit Cendre pour l'instant, tou le tabassera après si tou veux. Mais pour lé moment c'est mon client. Allez, rentre, fit-elle à l'intention du voleur.
Cendre obtempéra sans demander son reste, suivit de près par le journaliste.
- Bon, fit Mel en refermant la porte. Il va falloir penser à payer ta dette, hein ?
Cendre rentra dans la pièce par un long couloir, décrit comme un "bazar organisé" par Mel. La chambre les accueillit d'une forte odeur de fumée et de tabac froid, et ce malgré les grandes fenêtres ouvertes desquelles s'engouffraient l'air frais de cette fin d'automne. Ses murs étaient jonchés de photos, de portraits de tout genres issus de magazines, de vieilles photos, de portraits réalistes ou d'un imaginaire très fertile.
La pièce principale, quelque peu en désordre, avait elle aussi des visages sur les murs mais en quantité moins abondante, les portraits étant peu à peu remplacés par des masques, perruques, artifices et pinceaux.
Sous les tonnes d'objets qui recouvraient la chaux, on pouvait voir que les murs étaient peint d'un rouge foncé sale sur le premier tiers inférieur et d'un vieux blanc sur les deux tiers supérieurs. Une plante grimpante apportait un peu de douceur dans ce capharnaüm d'objets, la verdure rendant l'atmosphère plus agréable et posée.
Contre un des murs, il y avait un tas de papiers, d'outils et d'accessoires sous lesquels se trouvait une coiffeuse, en face de laquelle reposait un grand fauteuil qui aurait trouvé sa place dans un salon de maquillage et, derrière, des étagères qui entouraient un miroir légèrement teinté.
Cendre se planta au milieu de la pièce sans un mot, suivi de prêt par Theodorus.
- Je sais, Mel, je sais. Je vais bientôt la régler. Mais avant, je compte l'allonger encore un peu, histoire de m'en sortir en beauté, fanfaronna Cendre en retrouvant son sourire.
- Au fait, toi, le gringalet blond. Tu peux arrêter de le suivre partout comme un petit chien, sourit Mel. Il va pas se sauver maintenant, ton Cendre, pas tant que Jonas est de l'autre côté de la porte ! ajouta t-elle sur un ton moqueur.
Theodorus, surpris et piqué dans son estime, asséna un regard noir à la femme.
- Je ne suis pas son chien, juste un coéquipier ! Il est mon subordonné c'est tout !
Un silence plana, pendant lequel le journaliste se trouva tout bonnement ridicule de s'emporter de la sorte.
- Et de toute façon, ce n'est pas une porte qui va le bloquer, je commence à connaître l'oiseau, continua-t-il. Non, il vaut mieux que je reste surveiller ce voleur avant qu'il ne me file entre les doigts.
Mel éclata de rire :
- Dis donc, Cendre ! Il commence à bien té connaître, lé blondinet ! (Ses éclats de joie se stoppèrent pour retrouver un ton professionnel.) Bon, il te faut un nouveau visage pour infiltrer la police, c'est ça ?
- Oui, et donc le plus innocent et passe partout possible.
La grande andalouse le guida au grand fauteuil de maquilleuse où elle l'emmaillota dans un draps.
- Tu es au courant qu'aucun flic n'a des cheveux comme les tiens ? Il va falloir couper, mon ninõ.
- Quoi !? Je suis plus partant du tout !
- Trop tard, se moqua Theodorus en s'asseyant à l'envers sur une chaise pour s'accouder au dossier. Et je vais me régaler du spectacle !
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De la Cendre sur les toits de Londres
Mystery / ThrillerTheodorus, détective et journaliste dans un Londres steampunk, enquête sur une mystérieuse série de vols dans la haute bourgeoisie. Mais tout ne se passe pas comme prévu : entre les comtesses un peu envahissantes, les complots contre la couronne et...