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- Monsieur Jean Bonnot ?

La sonnerie du téléphone et une voix que je croyais reconnaître. Une voix qui me tirait de mes rêves de kangourous, vers sept heures du matin.

- Bonnet, rectifiai-je automatiquement, en bâillant.

- C'est moi, Ann, répondit la voix qu'il me semblait vaguement reconnaître.

Je restai silencieux, le combiné à l'oreille.

- Je voulais t'entendre me reprendre sur ton nom comme tu l'avais fait la première fois où je t'ai appelé, continua Ann. Tu étais si attendrissant, ce jour-là !

J'étais toujours incapable d'articuler le moindre mot tant je m'étais persuadé que je n'entendrais plus jamais parler d'elle.

- Y'a quelqu'un ? me fit Ann, au bout d'un moment, Allo, Allo, je suis bien chez Monsieur Du Bonnet ?

- C'est moi, finis-je par reconnaître après une profonde respiration. Mais je croyais...

Ann m'expliqua alors dans le détail que Monsieur Charles s'était déplacé chez elle en personne hier après-midi et lui avait tout raconté. Elle avait compris que je n'étais pour rien dans le vol des lettres.

- Excuse-moi, j'ai douté de toi, m'avoua-t-elle. Je m'en veux terriblement.

- N'en parlons plus, lui répondis-je, reprenant peu à peu mes esprits. Mais cela m'a fait mal que tu m'aies jeté comme un kleenex, sans même me laisser le temps de m'expliquer.

- Je sais, se justifia-t-elle, mais essaie de comprendre, je suis devenue méfiante et je me suis endurcie après avoir été jetée moi-même... Tu as un patron qui a l'air de bien t'aimer, ditelle en changeant de sujet, c'est vraiment un type sympathique.

- Il est beaucoup plus que sympathique, mais c'est mon expatron, corrigeai-je. Je cherche un autre boulot dès la rentrée.

- Moi aussi, m'annonça-t-elle. J'ai gardé des relations avec les agences de mannequins et je vais leur proposer mes services pour encadrer et conseiller les jeunes qui sont engagées. Elles sont fragiles, à leur âge ; elles ont tout à apprendre...

- Alors tu arrêtes... le patinage... la taquinai-je.

Je l'entendis rire dans l'appareil, preuve qu'elle avait décodé l'anagramme. Puis, après un silence :

- Ce que je t'ai dit l'autre fois, ça tient toujours, Jeannot, tu peux venir t'installer ici quand tu veux avec ton fils. On laissera ma chambre aux deux petits et nous dormirons dans le canapé-lit du salon.

J'adorais l'entendre m'appeler Jeannot. J'imaginais déjà mes réveils au petit matin, me dégageant du corps d'Ann après une nuit torride de sexe et d'amour, pour me glisser vers la terrasse et contempler les reflets du soleil levant sur les dorures du dôme des Invalides.

- Mais, Ann, j'ai d'autres plans, me surpris-je à lui répondre comme si c'était mon double qui parlait à ma place, tant je m'étais mis en tête de partir en Australie !

- Ah ! fit-elle d'une voix contrariée. Tu rebondis vite... C'est bien...

- Ce n'est pas ce que tu crois, me rattrapai-je. Elle m'imaginait sans doute avec quelqu'un d'autre... Si tu veux, je passe chez toi t'expliquer.

Nous avons raccroché après nous être donné rendez-vous dans l'après-midi.

Ainsi, Ann me proposait de signer un CVDI, un contrat de vie à durée indéterminée, seulement quelques jours après notre rencontre, et je me suis dit qu'en acceptant je battrais tous mes records d'emménagement avec une femme. Pourtant, cela m'allait bien, du moment qu'il n'était pas question de mariage. Le mariage, j'avais beaucoup donné et j'étais vacciné.

10 jours de canicule [publié, mais épuisé, chez ETT]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant