10 jours de canicule [publié, mais épuisé, chez ETT]

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J'ai effectivement fait un voyage, mais pas exactement

celui qu'Ann m'avait fait miroiter. Pourtant, tout avait bien

commencé. J'ai marché vers le lit dans un état d'excitation

grandissant à mesure que je m'approchais. Elle avait même émis,

en me regardant avancer, un petit sifflement que je qualifiais

très immodestement à cet instant d'« admiratif » – mais en y

repensant, c'était probablement pour m'encourager.

Elle m'accueillit dans ses bras et posa d'emblée ma tête entre

ses seins. Je compris immédiatement que l'expédition qu'elle

me proposait était une ascension en double montgolfière.

J'étais ravi. Pour moi c'était une première et les conditions

d'envol semblaient idéales. Les vents étaient favorables. Le

foyer situé au niveau inférieur entretenant l'air chaud contenu

dans les enveloppes de l'aérostat, fonctionnait au petit poil.

C'était divin. Je m'élevais progressivement vers la quatrième

dimension.

Les premières rafales de vent provoquant un balancement

inquiétant de la nacelle sont arrivées au moment où j'ai tenté

d'embrasser Ann. Elle a légèrement détourné la tête, mes

lèvres n'ont réussi qu'à effleurer sa bouche d'où s'échappèrent

ces mots assassins, en réponse à la question qui m'obsédait au

café :

- Ah non, mon petit chéri ! Les baisers, je les réserve pour

mon amoureux.

La phrase qui tue... L'appareil s'est mis à dériver au gré des

vents, les cordes qui relient la nacelle aux ballons se sont rompues.

La panne fatale, que tout homme redoute dans la situation

où je me trouvais, survint précisément au moment où

j'étais sur le point d'attaquer ce que l'on peut appeler communément

dans le jargon amoureux « les choses sérieuses » qui,

normalement, succèdent aux préliminaires. Rien. Il n'y avait

plus rien. Les commandes ne répondaient plus. Comparée à

ce qui m'arrivait, la grande panne d'électricité de 1965 à New

York, celle qui a atteint toute la ville, la totalité de l'État de

New York, le New Jersey, la Pennsylvanie, la Nouvelle Angleterre

(plus d'un sixième du territoire des États-Unis) et le sud

de l'Ontario (Canada), qui a plongé plus de trente millions de

personnes dans l'obscurité pendant près de treize heures, qui a

provoqué un chaos indescriptible dans la circulation automobile

et dans tous les transports collectifs horizontaux et verticaux,