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Capote dépliée, ma Coccinelle filait sur l'autoroute A1. Je conduisais et Ann était près de moi sur le siège passager, cheveux au vent, les pieds nus sur le tableau de bord, parfaitement décontractée malgré notre départ en catastrophe. J'avais conscience qu'elle me menait par le bout du nez (pour ne pas parler d'un autre bout que la décence me demande de taire...) Un œil fixé sur la route et l'autre sur ses cuisses dont je ne pouvais détacher le regard, il était évident que j'étais tombé amoureux. Cette femme, qui était mon aînée de presque dix ans (ce qui à mes yeux constituait plutôt un avantage qu'un inconvénient), m'attirait comme aucune autre femme ne m'avait jamais attiré, et j'étais très tenté de faire avec elle un bout de chemin. Chemin sur lequel nous venions de nous engager justement, et que nous suivions à cette minute même en direction de Péronne, plus précisément. Mais après trois mariages ratés et un certain nombre de relations hors mariage tout aussi ratées, j'avais appris à me méfier de mes emballements. Dans mon for intérieur je me disais « mollo-mollo, ne t'emballe pas Polo ! Il n'y a que deux ou trois choses que je sais d'elle »... et j'enclenchai la quatrième pour économiser le carburant.

Ann avait fermé les yeux et s'était assoupie, bien calée contre le dossier incliné de son siège. Ses longs cheveux blonds flottaient au vent et son visage était offert à la caresse brûlante de l'air. Sa bouche m'attirait, gourmande. J'étais tenté de lui voler un baiser mais je tenais le volant, et je me contentais seulement de la regarder, par brefs à-coups, en me pinçant. Il me semblait incroyable d'être aux côtés d'une femme aussi belle et d'avoir partagé, déjà, plusieurs jours (et nuits) de son existence. Et qu'elle ait fait pendant quelque temps le plus vieux métier du monde m'était bien égal. La banquette arrière de la VW était recouverte de nos affaires personnelles rassemblées à la hâte avant notre départ. Deux sacs de voyage, l'un à moitié ouvert, plusieurs paires de chaussures, un Levis, quelques jupes et corsages qu'Ann avait négligemment jetés sur le siège, et, trônant comme un prince sur cet amoncellement, Teddy Bear et son précieux contenu, Teddy Bear que j'observais de temps en temps dans le rétroviseur et qui semblait me regarder avec ironie. La situation pouvait prêter à sourire en effet. Au lieu de repasser à l'agence, comme je m'y étais engagé, et de remettre à Monsieur Charles les documents cachés dans le ventre de l'ourson, je roulais comme un fou furieux dans la direction opposée. Teddy Bear, qui veillait sur les intérêts de sa maîtresse, m'en était très reconnaissant au bout du compte, et je crus même le voir m'adresser un clin d'œil complice dans le rétroviseur. C'est au moment où je parvenais au niveau de Combles, à l'endroit où l'autoroute se scinde en deux tronçons, l'un conduisant vers Lille, l'autre vers Cambrai-Valenciennes-Bruxelles, qu'Ann s'est réveillée. Elle s'est étirée en se cambrant, tendant les bras vers le ciel bleu azur pour former le V de la Victoire. Elle portait un petit short rouge échancré sur le côté et une chemise d'homme dont elle avait ramené les pans pour les nouer sur le ventre. Elle posa un moment sa tête sur mon épaule, ses cheveux virevoltaient au gré du vent, et elle me donna dans le cou un long et chaud baiser.

- Je suis tellement heureuse que tu m'accompagnes, Jeannot.

J'étais aux anges. L'air brûlant nous fouettait le visage. J'avais chaussé mes lunettes de soleil et Ann n'a pas remarqué que je rougissais. La température dépassait les 35°C, comme la veille et les jours précédents. Nous donnions l'image d'un couple comme tant d'autres, qui avait reporté son départ en vacances au lundi pour ne pas subir la circulation intense du week-end. Mais nous étions loin d'être en congé et nous filions à l'allure maximale que permettait ma voiture hors d'âge sur l'autoroute où le trafic était plutôt fluide.

- Et moi si fier d'être avec une belle fille comme toi, lui répondis-je après un instant en pensant au film de François Truffaut avec Bernadette Lafont.

Nous avons eu la même idée, Ann et moi, au moment où nous avons vu le panneau indiquant la sortie Sailly-Saillisel. Nous avons quitté la bretelle, suivi une départementale pendant quelques kilomètres et nous avons trouvé bientôt sur la droite un chemin de terre sur lequel nous avons roulé jusqu'à un sous-bois. Nous avons garé la voiture sur le bas-côté et nous avons marché encore une centaine de mètres en nous tenant par la main et en nous embrassant. Nous sommes arrivés près d'un chêne et nous nous sommes étendus au pied de l'arbre, à l'abri des regards, sur un tapis de mousse. Ann m'a allongé sur le dos, a retiré son short, a ouvert la fermeture éclair de mon jean et tout en me donnant des baisers sur le visage, dans le cou, sur les épaules, elle s'est mise à califourchon sur mon ventre. J'ai déboutonné sa chemise pendant qu'elle me chevauchait. Je voulais voir ses seins danser au rythme de ses mouvements. Je posais mes mains sur ses fesses, en caressais et pétrissais les globes, empaumais ses seins pendant qu'elle penchait son corps en arrière, en avant, et se pliait pour m'embrasser sur la bouche. La sueur coulait le long du sillon de sa poitrine insolente. Ann était plus belle encore quand elle faisait l'amour. Ses yeux brillaient. Elle souriait de plaisir. Et je sentais que ça la rassurait d'être maître de la manœuvre.

10 jours de canicule [publié, mais épuisé, chez ETT]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant