2

3.1K 28 0
                                    

Je suis arrivé avec une avance confortable au café où nous

avions rendez-vous et je me suis installé en terrasse, à la place

que j'occupais la veille ; Ann n'aurait aucune excuse de ne pas

me reconnaître ! De mon côté, pas de risque de défaillance de

mémoire : j'avais mis sa photo bien en évidence sur ma table

de nuit et je m'étais endormi et réveillé avec son image dans

la tête.

J'ai commandé un premier café, puis un deuxième, puis

un troisième. Le percolateur m'avait franchement pris en

amitié. L'heure de notre rendez-vous était à présent largement

dépassée et je commençais à voir détaler les lapins de garenne

dans tout l'établissement.

Pour tuer le temps, je me suis appliqué à regarder les allées

et venues des promeneurs sur le boulevard de la Madeleine et

je me suis dit qu'il ne devait pas y avoir grand monde au travail

dans le pays. Il y avait sous mes yeux le garçon qui me servait,

celui qui était derrière le comptoir, trois prostituées qui

passaient régulièrement devant la terrasse. Avec moi, cela faisait

au moins six Français qui participaient à la production de

l'économie nationale et j'ai été rassuré pendant un moment.

Cet état de quiétude ne dura pas bien longtemps et, à mesure

que les minutes s'écoulaient, je manifestais des signes de plus

en plus évidents de nervosité. Moi qui ne fumais jamais, je

m'étais acheté un paquet de Gauloises pour me donner une

contenance. J'allumais et fumais cigarette sur cigarette, sans

parvenir à me calmer. À vrai dire, c'était la première fois que

j'envisageais une relation avec une « professionnelle », et ce

manque d'expérience contribuait d'autant à accentuer mon

angoisse. En particulier deux questions me semblaient fondamentales,

me taraudaient l'esprit, et finirent par devenir une

véritable obsession. Tout d'abord, je me suis demandé s'il était

d'usage d'embrasser une prostituée. Cette question me tortura

au point que je faillis gueuler comme un putois dans le café «

A-T-ON LE DROIT D'EMBRASSER UNE PUTE ? » Heureusement,

je me suis retenu juste à temps. Il était temps. De

quoi aurais-je eu l'air ? Mais j'avais tellement envie d'embrasser

Ann sur les lèvres. Ensuite, je me suis interrogé sur le rôle

exact du bidet dans ce type de rapports. Moi, un bidet, j'en

avais eu un par le passé, mais je n'ai jamais très bien su à quoi

pouvait servir ce machin-là. Assurément c'était trop petit pour

10 jours de canicule [publié, mais épuisé, chez ETT]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant