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« Salut, Jeannot-du-Matin ! ».

Ce furent les premiers mots d'Ann le lendemain vers dix

heures, en arrivant sur la terrasse où je buvais un énième café.

Je n'ai jamais réussi à faire de grasses matinées et je n'en ferai

sans doute jamais, même couché dans un lit auprès de Miss

Monde. Et Ann, pour moi, était Miss Monde.

Elle dormait profondément, à six heures, quand je m'étais

détaché de ses bras et de son corps tiède. Par conscience

professionnelle, j'avais commencé par fouiller les meubles

du salon où elle rangeait ses papiers, sans succès, mais je

n'y croyais pas vraiment. En revanche, j'avais trouvé dans la

cuisine tout ce qu'il fallait pour me préparer du café. J'étais

installé comme chez moi, mieux que chez moi, sur la terrasse,

écoutant les infos sur un transistor ramassé au passage. Le ciel

était laiteux à cette heure et on annonçait encore une journée

de forte canicule, la troisième d'affilée, avec plus de 35° dans

l'après-midi. Je voyais au loin les reflets dorés du dôme des

Invalides et il s'en fallait de peu pour que je me croie en

vacances, à l'étranger. Il m'arrivait souvent de jouer au touriste

à Paris, de regarder les immeubles, les monuments, comme

si je les découvrais pour la première fois. Mais ce matin-là,

je n'avais pas besoin de me forcer, tant l'environnement dans

lequel je me trouvais m'était inhabituel. Je pensais à Ann, à

notre première relation sexuelle, ardente, fusionnelle, et peutêtre

me trompais-je, mais j'avais l'impression de n'avoir pas été

pour elle un client comme un autre. Elle m'avait gardé toute

la nuit, elle semblait me faire confiance, et je me demandais

si elle avait invité beaucoup d'hommes à rester, comme moi,

près d'elle jusqu'au lendemain. Il est vrai aussi que (sans

parler de ma mission dont elle ignorait tout) le rapport

tarifé, qu'elle avait vraisemblablement eu avec tant d'autres

hommes, avait dérapé avec moi à la première rencontre. Ma

fuite de la chambre d'hôtel, l'oubli de mon portefeuille, son

invitation à venir le récupérer chez elle, le cambriolage et son

agression, tout cela avait créé une situation très particulière. Et

peut-être me récompensait-elle tout simplement pour l'avoir

soutenue dans ces dernières épreuves. Comme chaque fois que

je faisais l'amour pour la première fois avec une femme qui

me plaisait et que l'entente sexuelle était manifeste, je sentais

que je tombais amoureux. La relation avec Ann avait été

particulièrement complice. Nous avons beaucoup ri ensemble

10 jours de canicule [publié, mais épuisé, chez ETT]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant