Épilogue

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Jimin entra dans le kiosque en sachant exactement ce qu'il venait y faire. Il était très tôt, alors il n'y avait pas un chat. D'ailleurs, il était bien le seul et certainement le premier client chez le marchand de journaux, car le vieillard qui tenait la caisse prenait encore le temps de s'installer sur son tabouret en examinant la caisse enregistreuse. Jimin ne traîna pas et chercha le Citoyen du 24 août, le dernier en date, sur les étalages bien rangés. Il n'y avait pas plus récent, alors il le trouva facilement.

Sans se préoccuper du vieil homme qui lui jeta un regard curieux depuis la caisse, il feuilleta les premières pages. Ses yeux accrochèrent une colonne bien précise, celle qui se trouvait bien en évidence. Il lu l'article très rapidement et avec avidité. Les mots raisonnaient dans sa tête en s'enchaînant parfaitement:

L'affaire du lac

Mercredi dernier, la police de la petite ville de XXXX s'est rendu dans la maison de Kim Sangchul après avoir reçu un appel anonyme signalant des faits étranges. En suivant les indications de leur informateur, les forces de l'ordre ont retrouvés Ho Jina, une étudiante de dix-neuf ans, portée disparue depuis plusieurs semaines, dans un cabanon à l'arrière du domicile. La victime a été hospitalisé, mais son pronostic vital n'est pas engagé. Ce n'est pas tout; les policiers ont également découverts dans la maison un laboratoire aménagé et des preuves concernant des personnes disparues dans la région depuis des années.

Le propriétaire, Kim Sangchul, âgé d'une cinquantaine d'année, est ainsi soupçonné d'être à l'origine de la disparition d'au moins sept autres personnes. Aucun corps ni aucune autre victime n'a encore été retrouvé et des fouilles actives sont à l'oeuvre partout dans la région. Le suspect n'a pas été appréhendé, mais selon les autorités, il aurait pris la fuite.

Le neveu du suspect, Kim Seokjin, est également porté disparu depuis quelques jours. Si vous l'avez vu, lui ou le suspect, contactez immédiatement les services de police.

Jimin referma le journal en le froissant par inadvertance, fébrile comme jamais. Ce n'était pas tant l'affaire qui le rendait tout excité, mais plutôt le nom à la fin de l'article, écrit en tout petit.

Son nom à lui. Park Jimin, journaliste...

Ça y est, sa carrière était lancée ! Avec un article pareil, Jimin était persuadé qu'on cesserait de lui donner à rédiger les pages mortuaires et les articles de seconde zone sur les personnalités locales de cette petite ville pourrie. Enfin, il se passait quelque chose et c'était lui, et personne d'autre, qui avait pu en parler. On ne lui avait jamais donné autant de colonnes dans les premières pages...

Excité à l'idée que toute la région serait bientôt au courant des détails de l'affaire grâce à son article, Jimin acheta le journal. Puis il sortit du kiosque et traversa la rue, son trésor sous le bras. Il passa devant la librairie où on avait, à ce qui parait, vu le neveu disparu il y a quelques semaines déjà. La libraire connaissait d'ailleurs le suspect, Jimin l'avait déjà interrogé quand il avait mené sa petite enquête personnelle; elle n'en revenait pas de ce qu'on disait de ce monsieur Kim Sangchul, qu'il aurait kidnappé au moins sept personnes, et peut-être plus selon les spéculations qui couraient déjà. Pour elle, c'était un homme charmant et poli, qui n'avait jamais fait de vague. On le connaissait assez bien par ici, même s'il habitait en dehors de la ville dans une maison isolée, car il venait faire ses courses de temps à autre, mais toujours dans les petits magasins. Pour Jimin par contre, c'était une évidence; ce type avait voulu se faire discret. Sans parler du laboratoire qu'il y avait, paraît-il, dans sa maison. À quel hobby morbide se dédiait-il ? Cet homme avait tout du psychopathe ou du scientifique fou. Quant à son neveu, qui, disait-on, passait ses étés chez lui...

Il était sûrement mort. Jimin imaginait bien le scénario; peut-être avait-il découvert quelque chose et que son oncle, de peur d'être dénoncé, s'était débarrassé de lui avant de disparaitre précipitamment. Oh oui, c'était sûrement ce qui s'était passé. Jimin était quasi persuadé que dans quelques jours, il allait pouvoir écrire un article à propos du pauvre adolescent, probablement enterré quelque part dans la forêt ou jeter dans un lac. C'était malheureux, mais cela ferait frémir la ville entière.

L'article allait être incroyable. Non, sensationnel même.

Jimin ralentit un instant, hésita puis entra dans la supérette devant laquelle il venait de passer trop rapidement. Son ventre était creux, car en partant de chez lui ce matin, il avait été si pressé de découvrir son article qu'il n'avait même pas bu son café. C'est donc affamé et impatient qu'il sillonna les rayons presque désertés, dans le calme ambiant et la blancheur des néons. Il n'y avait que deux autres personnes dans la supérette; l'un d'eux le bouscula sans faire exprès en passant derrière lui. Il fallait dire que les rayons étaient étroits.

« Oh, pardon, s'excusa alors un adolescent, mais ce n'était même pas celui qui avait commis l'erreur.

– Ça fait rien, répondit Jimin, de trop bonne humeur pour se laisser influencer. »

Il ne fit pas attention à son visage. Pourtant, si Jimin avait songé à lever les yeux plus longtemps, s'il avait regardé autre chose que la panoplie de sandwich devant lui à ce moment-là... alors il aurait certainement reconnu ce visage partiellement dissimulé par une casquette, dont la photo figurait dans le journal sous son bras, juste après l'article. Il ne porta pas non plus son attention sur celui qui l'accompagnait; une homme grand, à la peau très pâle, qui portait un long manteau en plein mois d'août.

Jimin se pencha pour saisir un sandwich. Derrière lui, les deux autres clients payaient, puis la clochette de la porte retentit, signe qu'ils étaient sortis. Alors il se dirigea à son tour vers la caisse, paya et repartit.

Jimin l'ignorait, mais il n'allait pas écrire d'autres articles sur l'affaire du lac. Car personne n'allait retrouver ni l'oncle, ni le neveu disparu. Les rumeurs allaient bien circuler quelques temps –certains penseraient même avoir aperçu le pauvre garçon en ville, mais sans certitude– puis plus rien.

Et personne ne se douterait jamais que les personnes disparues n'étaient pas au nombre de sept, mais bien de huit.

Abysse  | n.jinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant