06.

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Le ciel était parsemé d'une multitude d'éclats blancs que Seokjin s'arrêta pour regarder, lorsqu'il referma la porte d'entrée sans bruit derrière lui.

C'était rare que le ciel soit ainsi dégagé. Seokjin inspira une bouffée de l'air nocturne pour se donner du courage. Il reprit alors sa marche à travers le jardin, alors que les herbes folles chatouillaient ses mollets dénudés et que le vent frais s'engouffrait sous ses vêtements. Il retint son irrésistible envie de se retourner et de regagner sa chambre. Il n'était jamais sorti deux nuits d'affilées, car il trouvait ça risqué. La curiosité était pourtant de son côté et elle forçait ses pieds à aligner un pas devant l'autre.

Seokjin se rendit compte qu'il arrivait près du lac uniquement grâce aux sons que firent ses talons sur les galets plats. La brume avait beau être légère, il n'y voyait pas grand chose, bien que la pâle lueur de la lune, obstruée par des stratus, l'aidait tout de même dans sa progression. Comme la nuit dernière, Seokjin s'arrêta quelques instants devant l'étendue d'eau qui lui faisait face. Il avait l'impression que son action de la veille remontait à longtemps, que ça n'était pas arrivé. L'adolescent observa les alentours, le cœur serré par une angoisse inexplicable.

Il n'y avait personne. Juste le silence, le lac endormi et lui.

Et bizarrement, le fait qu'il n'y ait pas âme qui vive le dérangeait tout particulièrement. C'était calme, trop calme.

La fraîcheur de l'air glissait sur sa peau en laissant une traînée de frisson sur son chemin. Seokjin croisa les bras pour espérer se réchauffer un peu mais aussi pour chasser les mauvais sentiments qui le gagnaient. Il n'avait pas l'intention d'en finir ce soir, ce n'était pas son but cette nuit et pourtant, il se sentait aussi angoissé que si c'était le cas.

Enfin, comme appelé par le mystérieux appel du vent, le lac sembla s'agiter. Les petites vagues tremblèrent et s'écrasèrent plus férocement sur les galets. Attentif au moindre son et mouvement, Seokjin attendait que quelque chose se passe. Il crut patienter là une éternité, sans avoir l'impression d'être totalement seul.

Son souffle se coupa lorsqu'une silhouette apparut sous ses yeux effarés. Une forme inconnue se détacha de la ligne sombre de l'eau, comme un corps émergeant. La chose se leva et, à la clarté de la lune, Seokjin put affirmer avec quasi certitude qu'il s'agissait d'un homme.

À ce moment-là, le corps de l'adolescent se figea.

L'homme avançait vers lui en brassant l'eau clair de ses jambes. Il marcha lentement jusqu'à ce que l'eau ne lui arrive plus qu'à mi-cuisse. Puis, pour une raison obscure, il s'arrêta là à quelques mètres seulement de Seokjin. Complètement crispé d'incrédulité, l'adolescent n'amorça pas le moindre mouvement, trop dépassé par la situation pour tenter quoi que ce soit.

Seokjin ne savait pas s'il hallucinait ou si c'était réel. Il avait beau battre des paupières, la silhouette ne s'effaçait pas, bien au contraire. Elle s'affirmait de plus en plus. Sa confusion fut balayée à l'instant même où les nuages obscurcissants la lune s'enfuirent pour permettre, grâce à la lueur de l'astre, de distinguer clairement les formes et les contours. À ce moment-là, Seokjin n'eut plus aucun doute. La personne qui se tenait devant lui était bel et bien un être humain. Mais il avait une apparence irréelle, parce que sa peau était pâle, presque translucide comme si elle n'avait jamais vu le soleil. Comme s'il venait des tréfonds du lac.

Ses cheveux étaient d'un blond très ternes, plaqués contre son front luisant d'eau. Immobile, il le fixait de ses deux orbes sombres. Seokjin en avait le souffle coupé, et il ne savait pas si c'était de panique. Il était tétanisé et n'osait pas regarder ailleurs. Tous deux se regardaient dans la semi-obscurité de la nuit, intrigués par l'un comme par l'autre. Puis l'homme s'approcha lentement et réduisit la distance qui les séparait. L'adolescent ne bougea toujours pas, malgré les multiples signaux de danger que lui envoyaient son cerveau. Trop captivé, il en oublia d'avoir peur, de fuir.

Ses pas ne firent aucun son sur les galets plats de la rive. Il n'y avait que le bruissement de ses vêtements trempés, de la respiration tremblante de Seokjin. Plus il approchait, et plus l'adolescent sentait son sang se glacer, son souffle s'écourter, son coeur s'emballer.

Les mètres se perdirent, coupés par l'avancée de l'homme, jusqu'à ce qu'il ne reste plus que quelques pas de distance entre eux. Là, il s'arrêta encore, hésitant. Seokjin n'avait ni avancé, ni reculé. L'autre était si proche qu'à présent, il pouvait clairement voir son visage, ses traits, son regard. Il n'y avait plus rien que lui, que les profondeurs de ses orbes. Plus rien d'autre.

Seokjin savait que l'homme observait aussi ses traits, à en juger par le mouvement frénétique de ses iris. Ses paupières se soulevaient et s'abaissaient rapidement, ce qui chassa les perles d'eau logées dans ses cils. Il semblait curieux, lui aussi, comme s'il faisait face à une créature mystérieuse qu'il ne connaissait pas. Il pencha la tête de côté, l'air intrigué.

Dans un geste hésitant il leva sa main en direction du visage de Seokjin. Tétanisé, l'adolescent observa avec plus de curiosité que de méfiance les doigts cadavériques approcher, puis effleurer sa joue. Le geste fit se crisper Seokjin; c'était glacial. L'homme étudia sa réaction, car il eut un moment de flottement durant lequel il ne se passa rien. Seokjin resta parfaitement statufié. Ce fut sûrement une réponse pour l'homme du lac, car après un autre moment d'hésitation, sa paume se posa contre sa joue. Sa main effleura d'abord sa peau, explorant le toucher, avant de se mouler contre son visage. Comme si elle avait été faite pour être là et nul part ailleurs.

C'était bien trop surnaturel, irréaliste. Seokjin esquissa un sourire nerveux, incapable de s'en empêcher; il était si stressé. Mais ce qu'il vit l'instant d'après glaça son sang jusqu'aux tréfonds de son être.

La bouche de l'homme remua à son tour dans une tentative d'imitation bizarre. Ses lèvres violacées par le froid s'étirèrent, dévoilant une rangée de dents pointues et acérées.

Seokjin tressaillît. Saisi d'effroi, il se détacha à la dérobée, tourna les talons et s'enfuit à toutes jambes.

Abysse  | n.jinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant