La chambre était silencieuse. Dehors, la nuit régnait en maître et malgré l'heure tardive, Seokjin ne dormait pas. Les yeux mi-clos, il observait la pièce dans la pénombre. Les pupilles dilatées, il arrivait à discerner les contours des meubles et des objets. Les rayons de la Lune transperçaient le verre de la vitre embuée, dont les rideaux n'avaient pas été tirés, et éclairaient à peine le tapis élimé. Le monde semblait sans couleur.
Immobile, Seokjin attendait que quelque chose se passe dans ce silence calme et inquiétant. Son coeur battait à un rythme régulier, soutenu. Il contrôlait aussi sa respiration pour la garder paisible, parce qu'il savait qu'en se concentrant sur ça, le temps passerait plus vite.
Au bout de longues minutes, le gong de la vieille horloge retentit comme un écho dans toutes les pièces de la maison. En se concentrant, Seokjin pouvait l'entendre distinctement comme si elle était juste à côté, alors qu'en réalité elle se trouvait dans le salon, un étage en-dessous. Il compta les coups qui résonnaient dans sa boîte crânienne.
Un. Puis deux.
Trois. Quatre.
Cinq. Six.
Sept. Huit.
Neuf. Dix.
Onze.
Douze.
Les coups sonnaient minuit pile.
Répondant à un appel irrésistible, Seokjin se redressa en s'aidant de ses coudes et se leva. Il bougea lentement, pour ne pas faire grincer le lit, mais il ne prit pas la peine de se changer et se dirigea directement vers la porte. Il passa dans le couloir en se faisant le plus discret possible, le plus silencieux, afin de ne pas réveiller son oncle. Seokjin descendit les escaliers; il se figea sur l'avant dernière marche, qui venait de grincer horriblement, mais le silence qui suivit fut tout à fait banal. Il alla enfiler ses baskets et franchit la porte d'entrée, dont la clé avait été laissée sur la serrure. Seokjin longea la façade de la maison et s'enfonça dans le jardin.
Les battements de son coeur accélérèrent. Ce n'était pas la première fois qu'il sortait au beau milieu de la nuit, pourtant il avait toujours peur de se faire surprendre. Ça faisait bien un an –donc la dernière fois qu'il était venu ici– qu'il n'avait pas réitéré. Et il espérait ne pas se dégonfler cette fois-ci. Même s'il avait plus d'un mois pour essayer jusqu'à ce que ça soit la bonne.
Guidé par la Lune à demi pleine, Seokjin regardait droit devant lui sans s'arrêter. Il ne ralentit l'allure que lorsqu'il discerna distinctement une étendue d'eau et que l'air devint plus frais. Le doux son des vaguelettes parvinrent à ses oreilles et le lac, paisible, dormait. Des reflets argentés dansait sur l'eau. Ce spectacle qui ne s'offrait qu'à lui apaisa quelque peu Seokjin. Et malgré son envie prenante de faire demi-tour et de retourner se coucher, il se força à avancer sur les galets de la rive.
Son souffle s'agita peu à peu, à cause de l'angoisse. Une sensation inévitable, que Seokjin ignora pour se débarrasser de ses chaussures. Il les laissa bien rangées derrière lui et s'avança pieds nus sur les cailloux polis. Il frissonna lorsque l'eau froide toucha sa peau mais pourtant, il ne recula pas. Il avait déjà fuit trop de fois. Il ne pouvait plus faire marche arrière.
Il avait tant voulut en finir. Il ne devait pas se défiler au dernier moment, pas maintenant. Il ne pouvait pas. Ce serait lâche. Il ne voulait pas de ce poids supplémentaire sur sa conscience.
Seokjin tenta de se calmer en prenant une grande bouffée par la bouche. Il y parvint plus rapidement qu'il ne l'aurait cru. Son corps semblait prêt à affronter le sort atroce qu'il lui réservait. Seokjin avança sans se préoccuper de la température, qui engourdissait ses membres.
À mesure que l'eau montait, il se rendit compte que les battements de son cœur devenaient de plus en plus lents, accordé à l'ambiance sereine qui pesait sur lui. Le froid l'anesthésiait, autant émotionnellement que physiquement. Ça provoquait comme des fourmillements à la surface de sa peau, surtout aux bouts de ses doigts. Ses cuisses brassaient le liquide noir, illisible.
Son short était complètement trempé et le bas de son pull commençait tout juste à absorber l'eau glacée. Il sentait qu'à mesure que ses pas le portaient vers le large, il s'enfonçait plus profondément. Sous la plante de ses pieds, les galets devinrent inégaux et glissants. La mâchoire serrée, il avait soudain si froid qu'il avait envie de claquer des dents.
C'était la dernière ligne droite. Il ne pouvait plus changer d'avis ni faire demi-tour.
Il s'arrêta lorsque l'eau lui arrivait aux côtes. Frissonnant, il observa la surface du lac. L'eau était si sombre qu'il ne voyait ni ses pieds, ni ses jambes frigorifiées. Son pull ne le protégeait plus, ainsi collé à sa peau. Il tremblait et pourtant, Seokjin n'avait pas peur. Il ne ressentait rien. Il n'était pas effrayé à l'idée de mourir.
D'une certaine manière, il en avait envie. Parce qu'il avait fait ce choix et c'était fait à l'idée.
Ses yeux se fermèrent. Le vent venait glisser sur ses joues et les vagues légères étaient comme une invitation au long sommeil qui l'attendait. Sans une once de peur et d'hésitation, Seokjin se laissa tomber en avant. Le choque brutal de l'eau contre sa figure le força à ouvrir les yeux. Mais il ne bougea pas pour autant.
Son corps inerte s'enfonçait lentement dans cette eau sombre et sans fond. Encore conscient, Seokjin ne put retenir sa respiration bien longtemps. Ses poumons se vidèrent et il inspira par automatisme, les remplissant de cette eau glaciale qui le fit suffoquer. Son instinct de survie l'obligea à se débattre, mais ses membres ankylosés ne lui étaient d'aucun secours. Ses forces affaiblies le quittèrent rapidement, et il se laissa enfin sombrer dans les abysses.
VOUS LISEZ
Abysse | n.jin
FanfictionC'est dans les bas-fonds du monde que l'on trouve les échecs de l'Homme. --- NamJin 01.2017 - 08.2021