Abysse | n.jin

09.

Seokjin grimaça un peu lorsque son oncle appuya le morceau de ouate imbibé de désinfectant sur le creux de sa paume. Ça le brûlait, mais il ne dit rien et ne se plaignit pas. Il n'en avait pas le droit, et il le savait au fond de lui.

L'homme jeta le bout de ouate dans la poubelle sous le lavabo, puis il fouilla dans la trousse de soin, en sortit un pansement, compara avec la blessure et se ravisa. À la place, il sortit un petit rouleau de bandage qu'il déroula autour de sa main injuriée. Ses gestes étaient assurés, comme ceux d'un homme habitué aux travaux précis. Mais ses mains, par moment, paraissait comme rigides. Sûrement un effet de l'âge et du temps.

« Dis-moi, commença son oncle, ce qui brisa le silence. Qu'est-ce que tu faisais dehors, près du cabanon ? »

Seokjin déglutit péniblement. Il redoutait ce moment, car il ne pouvait pas lui dire ce qui s'était réellement passé. À propos de sa fuite, de l'homme du lac. Jamais il ne le croirait. Il le prendrait pour un fou. Mieux valait éviter cette peine. Ce ne serait qu'un embarras de plus mais surtout, Seokjin ne désirait rien gâcher. Lui et son oncle n'était pas si proche, certes, mais leur relation avait le mérite de ne contenir aucune entrave, aucun malaise. Contrairement à celle qu'il entretenait avec sa mère et son père. Seokjin ne voulait pas que ça change. Un mensonge pour préserver. Un mal pour un bien.

« Je m'ennuyais à l'intérieur, répondit Seokjin, avec détachement. »

Le silence plana un instant, court mais suffisant pour que son estomac se contracte. Il espérait que son oncle ne lève pas les yeux sur lui, qu'il ne remarque rien de son inconfort. Un long instant s'écoula, l'oncle réitéra ses actions avec la deuxième paume écorchée sans le regarder, et Seokjin ne pouvait plus tenir l'implacable silence. Il avait les lèvres qui brûlaient. Désireux de convaincre malgré sa gorge nouée, il ajouta:

« J'ai pas fait attention et je suis tombé. »

Son oncle referma la trousse et se redressa. S'il n'y croyait pas, il n'en montra rien. Il avala son explication comme de l'eau, comme la pure et simple vérité. Il sembla même paraitre compatissant.

Seokjin resta assis sur les bords de la baignoire malgré l'inconfort et la froideur. Les lèvres pincées, il regarda son oncle qui rangea la trousse à sa place, dans l'étagère en bois au-dessus de la vasque.

« Fais plus attention, à l'avenir, lui dit simplement l'homme. »

Puis il hocha la tête, signe qu'il partait, et sortit de la pièce exiguë. Seokjin respira longuement, soulagé que tout ce soit si bien passé. Il n'en espérait pas plus. Car il n'osait pas imaginer ce que les choses auraient pu être, s'il avait avoué qu'un troisième être vivait à quelques centaines de mètres d'eux, endormi sous des litres d'eau trouble, dans le lac silencieux. Il se demanda soudain si son oncle en savait quelque chose, s'il n'avait que le moindre pressentiment, le moindre soupçon. Après tout, il vivait ici toute l'année. Pourquoi seul Seokjin aurait été confronté à cette créature, lui qui ne venait que pour l'été ?

Seokjin caressa les bandages sur ses mains Sur ses genoux également, des compresses recouvraient la chair à vif. Il se sentait fatigué. Peut-être devait-il aller manger puis se coucher, pour ne serait-ce que laisser ses pensées se remettre en ordre, pour oublier tous ces mystères et toutes ces frayeurs quelques temps, quelques heures.

Seokjin s'appuya sur le rebord de la baignoire afin de se lever. Il y alla doucement, car la sensation de brûlure, il la sentait à travers ses bandages. Lorsque ses genoux se déplièrent, ce fut désagréable. Il éteignit la lumière en sortant, traversa le couloir à petit pas et alla dans sa chambre. Il ne prit pas la peine de fermer la porte derrière-lui.

Seokjin s'assit sur le matelas, qui s'affaissa sous son poids. Il jeta un coup d'œil à la fenêtre, détourna les yeux et se coucha.

Il devait mettre de la distance avec tout ça. Oublier ce qu'il avait vu pour le moment.