En plein dans le Mille

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Je n'ai pas le temps de me pencher sur une liste mentale du pour et du contre parce qu'on a à peine on a mis un pied hors de la salle des profs qu'on tombe sur Nicolas, accompagné de l'infirmière scolaire. Jamais je n'aurais pensé que le voir au fond du gouffre me provoquerait un tel choc. Nicolas a passé sa vie dans l'ombre de Benjamin. Il a tout misé sur l'humour et sa grande gueule pour tirer un peu de la couverture de la popularité jusqu'à lui, et il tape sur tous les plus faibles pour qu'on ne se rende pas compte que, lui aussi, fait partie de ce groupe. Mais là... Il marche dans notre direction sans même me voir, et le vague dans ses yeux me donne l'impression de suffoquer, comme la première fois que je l'ai touché.

Il lève le regard vers moi en arrivant à ma hauteur et, pendant une fraction de seconde, je m'attends à ce qu'il m'insulte, se moque de moi ou me touche pour se sentir mieux. C'est ce qu'il a toujours fait. Sauf qu'il continue tout droit. J'arrête un instant de respirer. Il a peut-être toujours été dans l'ombre de Benjamin, mais, à cet instant précis, il est à peine l'ombre de lui-même.

— Jo ?

Je me tourne vers Anna et remarque qu'elle a déjà franchi la courte distance qui mène à la porte de la bibliothèque, pile en face du secrétariat.

— Tu es sûre que ça va ?

Je la rejoins, puis me retourne pour regarder Nicolas descendre les marches qui mènent au gymnase. La voix de Charlotte résonne à mon esprit tandis qu'il disparaît lentement de ma vue.

Alors, comment il meurt ?

Je reviens à moi quand je sens la main d'Anna sur mon épaule. Je sursaute même si son geste est doux. J'étais plongée dans un passé qui ne s'est pas encore produit.

Anna me conduit jusqu'à son guichet, derrière lequel elle me fait prendre place, puis elle applique la compresse froide sur mon front. Je suis tellement ailleurs qu'il me faut quelques secondes avant de paniquer parce que ses doigts sont tout proches de ma peau et que je ne supporterai pas de la toucher. Je ne supporterai pas de sentir encore quelqu'un mourir aujourd'hui. Mais elle est aussi délicate que prudente, et ma panique est de courte durée. Je lui prends quand même la compresse des mains. Je la vois jeter un coup d'œil furtif à mes gants avant de reculer d'un pas pour me laisser de l'espace. Comme ils sont couleur chair, on les oublie facilement à moins d'entrer en contact avec ou de les regarder de près. C'est ce que j'ai trouvé de mieux pour me fondre dans la masse, même si c'est parfois aussi utile qu'un pansement sur une jambe de bois.

— Tu as envie d'en parler ?

J'ai un instant d'absence. Lui parler de quoi ? Mes gants ? Nicolas ?

— De quoi ?

— De la raison pour laquelle tu emboutis tous les murs du collège ?

— Oh, le nouveau ? je m'exclame en pouffant, bêtement soulagée avant de prendre conscience que je viens de donner raison à Charlotte et de confirmer les soupçons d'Anna.

Anna me sourit, mais ma liesse passagère a été quasi instantanément remplacée par mon visage derrière le canon d'une arme.

Fais-le, Joséphine.

J'ai soudain l'impression que tout le poids du monde s'abat sur mes épaules. Je m'attendais à ce que cette première journée de dernière année ne soit pas une partie de plaisir, mais on est à des années-lumière de mes pires pronostics. Mon prof principal est mort, je vais tuer le nouveau super sexy, et je m'apprête à aller toucher le cadavre de feu mon professeur pour tenter d'élucider son meurtre et peut-être sauver ma mère alors que 1) l'expérience va probablement être la plus désagréable que j'ai jamais vécue, car il est plus qu'impossible que son décès soit naturel vu l'état de son corps et 2) vu l'état dudit corps, comment une fille de seize ans pourrait faire quoi que ce soit contre la personne responsable ?

TOUCH [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant