Changer le futur

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Victor atteint Anna en plein ventre avec sa batte de base-ball. À peine s'est pliée en deux qu'il la frappe en pleine tête. Il ne s'arrête pas et continue dans ma direction. À ma grande surprise, Charlotte le suit de près.
Ma joie est de courte durée. Le bruit des chaînes se rapproche et je remarque avec horreur que le monstre est juste derrière eux. Victor fait volte-face pour l'attaquer en criant. Charlotte en profite pour continuer sur sa lancée, petite ombre brune qui file comme le vent dans le chaos environnant.
— Charlotte ! je m'exclame dès qu'elle est là. Qu'est-ce que vous fichez ici ?
Je suis tellement heureuse de la voir que je pleure de manière incontrôlée. Trop d'émotions. Trop de peur. Trop de lumières. Trop de hurlements.
— Un pour tous, tous pour un, répond-elle en commençant à tirer sur mes liens. On s'est dit que le monstre devait avoir du renfort. Ce n'était pas logique qu'il soit prisonnier et qu'il puisse tuer des gens malgré tout. On ne pouvait pas vous laissez y aller seuls, malgré les risques.
Elle a beau tirer, les nœuds semblent trop serrés pour qu'elle puisse y faire grand-chose.
— Anna a un couteau ! je lui dis vivement. Peut-être que...
On tourne la tête les deux au même moment, et je faillis m'évanouir en remarquant que le monstre a attrapé Victor. Il le tient par la gorge. Oh mon D...
— Victor !
Victor gesticule et tente de donner des coups de batte, mais rien n'y fait. Le monstre est trop grand, trop fort, il le tient bien trop serré. Mon sang se glace. Victor est la prochaine victime. Il crie, je me sens mourir et exploser à la fois.
— Non, non, non, non, non, répète Charlotte, comme une litanie.
Elle tire tout ce qu'elle peut sur mes liens, mais rien ne bouge. J'ai envie de lui crier de faire quelque chose, d'agir, n'importe quoi, mais je suis tétanisée. Mon corps ne répond plus. Victor lâche sa batte et se débat de moins en moins.
— Victor ! je crie. Victor ! Résiste !
Charlotte lâche mes liens et se précipite sur la batte de base-ball au moment où Milo, qui s'est relevé, fonce tête la première dans le monstre. Celui-ci a juste le temps de rugir d'énervement – Milo ne lui a pas fait mal, il l'a dérangé – avant que Charlotte ne vise ses genoux. Cette fois-ci, son rugissement fait trembler les murs. Il couvre les milliers de cris qui s'élèvent du puits sans discontinuer, étouffant le bruit que fait Victor en tombant par terre.
Charlotte n'attend pas de connaître la réaction du monstre et fonce sur Anna pour attraper son couteau. Celle-ci gémit quand Charlotte la touche, mais Charlotte s'enfuit à toutes jambes. Elle est tellement rapide, j'en ai presque le tournis. Puis elle se tourne, prête à revenir vers moi, mais Victor hurle de douleur et, en se retournant, Charlotte remarque que le monstre a rattrapé Victor, qu'il le tient par le pied, et qu'il vient de le mordre au bras. Milo lui rentre dedans, Victor tombe à nouveau au sol, et Charlotte revient en courant pour enfoncer le couteau dans la cuisse du démon.
Le démon hurle si fort cette fois-ci que je vois noir. Et ce n'est pas qu'une manière de parler. Là où le monstre a mordu Victor, le noir se répand sur sa peau. Lentement, mais suffisamment vite pour que je le voie de mes propres yeux.
— Non ! crie Milo en s'approchant de Victor.
Peut-être est-ce à cause de son ton, peut-être parce que j'ai peur de vivre ça depuis trop de temps, mais je comprends à son cri qu'il s'agit de sa vision. La vision dans laquelle il a vu Victor mourir. Avait-il compris que Charlotte et Victor reviendraient ? Savait-il que cela signifierait la mort de Victor ? Les larmes coulent de plus belle sur mes joues. On ne peut pas perdre Victor. On ne peut pas.
— Va libérer Jo ! crie Milo à Charlotte. Je m'occupe de Victor.
Elle hoche la tête et revient en courant vers moi, puis entreprend de trancher mes liens. Ça ne va pas assez vite. Le monstre est en train de se redresser. Si on ne se dépêche pas, il va s'en prendre à Victor et Milo à nouveau.
Mes liens cèdent finalement lorsque Grimaldi, qui s'est relevé et sort de Dieu sait où, fonce sur le monstre. Ils tombent.
— Papa !
— M. Grimaldi ! crie Charlotte avant de faire glisser le couteau au sol le plus vite possible dans sa direction.
Le couteau s'arrête trop loin, mais Grimaldi l'a vu et il roule dans sa direction, toujours aux prises avec le monstre. Le monstre est tellement plus grand que lui. Comment aurait-il la moindre chance ?
Comment aurons-nous la moindre chance ?
Je me masse les poignets tout en me relevant et, sans attendre, on fonce vers Grimaldi et le démon, et on commence à mettre des coups de pied dans ce dernier.
J'entends plus que ne vois Anna gémir. Mais tout se passe si vite. Un instant, on est en train de rouer le démon de coups tout en évitant Grimaldi, qui en profite pour se relever. L'instant d'après, une batte de base-ball l'atteint en pleine tête et il tombe au sol, inconscient. J'ai juste le temps de me retourner pour voir Anna balancer la batte en direction de Charlotte. Je crie, mais la batte l'atteint en pleine tête et elle tombe elle aussi, inerte, sur le sol. Je crie de plus belle et je charge Anna sans réfléchir. Tellement sans réfléchir que, lorsqu'on tombe, c'est juste à côté du puits. Cinquante centimètres de plus, et on y tombait toutes les deux. Mais je suis aveuglée par la colère et assourdie par mon cri, qui couvre ceux du puits.
Personne ne doit mourir aujourd'hui.
— Comment est-ce que je sauve Victor, je hurle pour couvrir les cris incessants qui s'échappent de la bouche de l'enfer.
Anna rigole tout en luttant contre moi.
— Tu ne peux pas. Seul Az'hoqan le peut.
Elle est beaucoup plus forte que moi. J'ai beau y mettre tout mon cœur, toute ma hargne, toute ma rage, elle prend rapidement le dessus et m'immobilise à la limite extrême du puits, une main sur la gorge, assise sur mes bras.
— Az'hoqan ! appelle-t-elle. Si tu veux Jo, rends-moi mon frère !
Le démon se tourne vers elle, puis fonce sur nous. J'ai le temps de me voir mourir mille fois durant les quelques secondes qu'il lui faut pour arriver jusqu'à nous. Mais, au lieu de me prendre, il saute dans le puits. Je pousse un soupir si bruyant qu'il me semble l'entendre au-dessus des cris ambiants.
— Anna, il va vous rouler, je plaide. Comme il l'a fait avec ma mère, comme il l'a fait avec tout le monde.
— Tais-toi, dit-elle avec dédain. Il va revenir avec mon frère et tout sera terminé.
— J'ai vu comment vous mourrez, j'insiste. Vous tombez dans ce puits. On peut l'empêcher. Refermez le puits tant qu'il est dedans. Si on ne peut pas s'en débarrasser, on peut au moins l'enfermer et l'empêcher de nuire !
— Tais-toi, j'ai dit ! m'intime-t-elle tout en me mettant une gigantesque baffe de sa main libre. Si je ferme, mon frère ne reviendra pas.
— Votre frère est mort, Anna. Il y a vingt cinq ans. Je suis désolée. Il est mort.
— Non !
La folie du désespoir brille au fond de ses yeux, ou peut-être est-ce tout4es les lumières émises par le puits.
— Si ! je m'emporte. Il est mort, le démon va vous rouler. Vous allez mourir dans ce puits. Vous croyez à mes visions, non ? On peut vous sauver. On peut changer le futur, on peut...
Elle me frappe à nouveau.
— Je ne veux plus t'entendre. Si tu t'approches, je la fais tomber avec moi !
Il me faut un instant pour comprendre qu'elle s'adresse à Milo, qui se tient à quelques mètres de nous.
— Elle a raison, lui dit-il en levant les bras pour montrer pattes blanches. Il y a peut-être un moyen de faire revenir votre frère grâce au livre. Mais ce que vous faites, là, est voué à l'échec.
— Il y a un moyen, et c'est précisément ce que je suis en train de faire ! S'il y en avait un autre, je l'aurais déjà trouvé. Je connais ce livre par cœur. Il n'y a aucun autre moyen. Et il est impossible de se débarrasser d'Az'hoqan !
Comme si on répondait à son appel, quelqu'un sort du puits. Mais ce n'est plus le démon, c'est... un jeune homme qui semble avoir notre âge. Ses cheveux châtains sont légèrement trop longs et bouclent autour de ses yeux d'un vert si clair qu'il ne peut s'agir que d'une personne, celle dont la sœur me maintient actuellement prisonnière sous son poids. Flavio ? Pourtant ses yeux ne sont pas... adéquats. Il y a quelque chose de putride dans son regard. De mort. Il s'agit d'Az'hoqan, je le sais sans l'ombre d'un doute.
— Flavio ! s'écrie Anna.
— Ce n'est pas Flavio ! lui dit Milo, qui voit la même chose que moi. Regardez ses yeux, c'est...
— Flavio !
Elle se relève pour courir vers lui et me libère dans le mouvement. Elle le serre dans ses bras, se met à pleurer. Flavio a toujours ses traits d'adolescent, comme il était sur les photos. Mais son sourire est... factice. Anna ne se rend compte de rien et ne nous écoute même pas. Pourtant le démon, sous les traits de son frère, relève lentement la tête et nous regarde, Milo et moi, un sourire malin s'étirant sur les lèvres fines qui ne lui appartiennent pas. Puis il nous montre des crocs bien trop acérés pour un humain, et on a à peine le temps de crier. Anna ne voit rien venir.
Il la mord violemment au cou. Elle hurle et le démon la frappe, l'envoyant valser un bout plus loin. Lorsqu'elle se redresse, elle le regarde d'un air blessé tout en se tenant la nuque, là où il l'a mordue.
— Pourquoi ? demande-t-elle en pleurant.
Je rampe en arrière en direction de Milo. Dès que j'arrive vers lui, il me serre contre lui. Ce contact me réconforte. On est ensemble. On ne meurt pas aujourd'hui.
— Les enfants sont moins stupides que toi, lui dit Az'hoqan avec la voix de Flavio.
Dans ce corps humain, il n'est plus limité par sa mâchoire diabolique. Ses paroles sont parfaites, et sa voix, qui, j'en suis persuadée, appartient à Flavio, est glaciale.
— Tu m'as amené deux corps pour le prix d'un, continue-t-il. Merci.
— Tu as promis de me rendre Flavio ! s'emporte Anna.
— Il sera de retour dès que j'aurai l'un de ces deux-là, dit-il en nous regardant comme si nous étions deux friandises. En attendant... la vision de Miss Joséphine est sur le point de se réaliser. Adieu, Anna. Merci pour tout.
Hein ?
Anna pense de toute évidence la même chose que moi, car elle penche la tête sur le côté. Et c'est la dernière chose qu'elle fera jamais.
Ma mère, mains toujours attachées dans le dos, fonce contre Anna et la précipite dans le puits, prête à tomber avec elle.

TOUCH [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant