La Chose

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Rien.
Nada.
Zilch.
Niet.
Null.
Equivalent du QI d'Emmalou.
Voilà exactement ce qu'on a trouvé après trente minutes de recherche dans le bureau de M. Gimaldi. Et ce n'est pas faute d'avoir retourné chaque centimètre carré, d'avoir cherché des compartiments secrets, d'avoir prié la Déesse Mère et fait une danse de la pluie.
Rien.
Nada.
Zilch.
Niet.
Null.
Double du QI d'Emmalou.
Et voilà précisément pourquoi on se retrouve devant le bahut à 1h du matin, vêtus de noir de la tête aux pieds, parce que mon cerveau n'a rien trouvé de mieux que d'autoriser ma bouche à dire oui quand Milo a suggéré cette idée saugrenue. Et là, je regrette. Et c'est un euphémisme. Un euphémisme qui n'a d'égal que la valeur absolue du QI d'Emmalou.
Bon, il faut que je me calme sur l'intelligence - ou plutôt la notable absence de - de cette pimbêche intersidérale. C'est plus facile à dire qu'à faire dans la mesure où, durant les deux derniers jours, Charlotte et Victor m'ont raconté qu'elle prend un malin plaisir à aller raconter à la Terre entière que j'ai assassiné Caroline. Comment, dans la mesure où j'étais toujours accompagnée et que je n'ai à ma connaissance aucun pouvoir psychique me permettant de liquéfier les gens, je vous le demande.
Je vaux mieux qu'elle. Je n'ai pas besoin de la rabaisser pour me sentir mieux.
Je répète cette phrase en boucle mentalement tandis que Milo se faufile dans la nuit comme si elle lui appartenait. Je ne sais pas comment il y parvient, dans la mesure où il fait aussi sombre que dans le cerveau d'Emmalou.
Encore raté.
Il s'arrête soudain, et je passe littéralement à deux doigts de lui rentrer dedans. Il me rattrape alors que je me précipite tête la première pour saluer le sol. Hey, au moins, c'était pas un mur.
— Là, dit-il, comme s'il avait l'habitude de me relever quotidiennement.
Puis il redresse les lambeaux qui me servent de lunette sur mon nez, et je suis sûre qu'il me voit rougir malgré l'obscurité dévorante.
— Je ne suis toujours pas sûre que ce soit une bonne idée, je lui dis encore une fois.
On a déjà eu cette conversation trois fois, mais, malgré mes réticences, je finis toujours par céder dès qu'il me regarde et me sourit. J'espère que le fait que je n'arrive pas vraiment à discerner ses traits m'aidera à négocier.
Ca part déjà mal quand il rit doucement. Je suis une telle girouette, ma parole.
— C'est le meilleur moment pour le faire, Jojo. La police a fini de fouiller, personne ne nous surveillera pendant la nuit, et j'ai les clés du paternel. On entre, on fouille, on sort. Ni vu ni connu.
Je hoche la tête.
Entrer dans le bâtiment est un jeu d'enfants. D'ailleurs, est-ce qu'on peut vraiment dire qu'on entre par effraction dans la mesure où Milo a emprunté le trousseau de clé du directeur et que nous avons un pass qui nous donne accès à absolument tout le bahut?
J'ai déjà ma ligne de défense avant d'avoir commis mon crime. Je suis une criminelle en puissance.
On prend tout de suite sur la gauche en entrant et, en douze secondes trois quarts, on est dans le bureau du directeur et on commence à fouiller. Je cherche distraitement dans des tiroirs en me disant que, quand même, le fait qu'il n'y ait pas de système de sécurité dans notre bahut pourrait être considéré comme une aubaine, mais est plutôt effrayant, au fond. Et si quelqu'un décidait d'entrer par vraie effraction? Bon, on a sûrement rien à voler, aussi. Tout notre matériel date des années 80 et les ordinateurs sont aussi rapides que le cerveau d'une personne que je ne mentionnerai pas parce que je vaux mieux que ça, mais dont le prénom commence par Emma et finit par Lou et dont le cerveau affiche un constant écran bleu.
On passe le bureau du dirlo au peigne fin, et on fait chou blanc. Chou blanc, nuit blanche, c'était cousu de fil blanc.
— Il n'y a rien ici, je lance à Milo de but en blanc.
Oh bon sang, les effets du manque de sommeil se font déjà sentir. Mon royaume pour un matelas!
Il est accroupi devant le bas d'une bibliothèque et essaie toutes les clés au trousseau de son père.
— Je crois que j'ai trouvé quelque chose, répond-il sans se retourner.
— Quoi?
— Une porte qui ne s'ouvre pas.
— Et il y a quoi dedans?
— Aucune idée.
— Si je récapitule, tu as trouvé qu'il y a peut-être quelque chose à trouver.
— Voilà.
— Donc tu n'as rien trouvé.
— Blanc bonnet, bonnet blanc.
Hey!
— Il faudra qu'on revienne une autre fois, continue-t-il dans la foulée. Je vais trouver où mon vieux cache la clé qui ouvre cette armoire. Là ça ne sert à rien, impossible de la crocheter.
— D'où tu sais crocheter des serrures, toi?
Il tourne vers moi un sourire ravageur. Je ne le vois pas vraiment vu que je ne braque pas ma lampe torche sur lui par politesse rudimentaire, mais je le devine plus que bien.
— Je pourrais te le dire...
— Laisse-moi deviner, mais ensuite tu devrais me tuer?
— Non, j'allais te dire que ce serait plus sympa que je te montre.
Un clin d'oeil! Est-ce que c'était un clin d'oeil, ou est-ce qu'il y a eu une perturbation dans le continuum espace temps?
Un trou noir s'ouvre sous mes pieds et je commence à battre des paupières comme une colombe qui tente désespérément de ne pas sombrer.
— Je crois qu'on devrait y aller.
Il acquiesce et se relève. J'essaie de ne pas faire un bond de deux mètres lorsqu'il pose la main dans mon dos pour me guider hors de la pièce. Je fais du super bon boulot et limite les dégâts à trente-deux centimètres et demi, ce qui le fait rire doucement. Je suis tendue comme une corde prête à rompre quand il referme derrière nous la porte du bureau de son père.
— Je suis désolé de t'avoir fait venir pour rien, dit-il alors que le clic du verrou se fait entendre.
Tellement tendue que la flèche part toute seule.
— La porte derrière laquelle tu as vu ma mère disparaître... est-ce que tu te souviens du code qu'elle a entré?
Un grand sourire illumine son visage.
— Oh, Joséphine, j'adore ta manière de penser, dit-il d'un ton soudain beaucoup trop bas. Rien ne me ferait plus plaisir que de me faufiler dans des endroits sombres en ta compagnie.
J'ouvre la bouche pour répondre quelque chose. Il me semble que je passe mon temps à ouvrir la bouche pour rien devant ce garçon. Et il doit le savoir, car il referme ma mâchoire d'un geste délicat.
— En tout bien tout honneur, continue-t-il avec une familiarité qui semble crier le contraire de ce qu'il vient d'affirmer. Il y a juste un tout petit souci.
— Quoi? je parviens à demander.
— Rien de grave, me rassure-t-il avant de prendre ma main dans sa main gantée pour m'entraîner dans les profondeurs du bahut. Il faut juste qu'on la trouve. En plus, devine ce que j'ai dans mon sac.
— Pourquoi mon petit doigt me souffle que tu as exactement la même chose que moi?
— Tu as de la sauge et de l'eau bénite?
J'acquiesce, il sourit.
— Eh bien, mieux vaut être trop préparés. Dieu sait sur quoi on va tomber.
Etrangement, j'ai de moins en moins envie de le savoir.
Parce que, de toute évidence, c'est une mauvaise idée. C'est d'ailleurs vraiment dommage qu'on ne puisse pas faire carrière grâce à des mauvaises idées, parce que, bon sang, je suis une véritable usine à idées pourries.
— Du calme, Jo, me dit Milo sur d'un ton assuré et rassurant.
— Je suis parfaitement calme, je réponds, hors d'haleine, car il nous fait avancer à une vitesse d'enfer et que je ne suis de toute évidence pas taillée non plus pour une carrière de marathonienne.
C'est quand il serre rapidement ma main que je prends conscience que je broie littéralement la sienne. Oups.
— Pardon, je rajoute au moment où il nous fait prendre l'escalier qui mène à la salle de sport.
Tout est sombre autour de nous. Si j'étais un monstre ou un méchant dans un film, notre présente situation ferait mon pain béni.
— Tu n'as pas à t'excuser. Et tu n'as rien à craindre non plus.
Je m'arrête et, le temps qu'il s'arrête, je glisse de quelques centimètres sur le sol.
— Et si c'était le cas? je demande en le regardant droit dans les yeux.
Chose possible uniquement parce que les immenses fenêtres de la salle de sport laissent entrer la lumière de la lune qui teinte tout ce qui nous entoure de gris bleuté.
— Et si la chose qui les a tués nous tombait dessus avant qu'on comprenne ce qui est en train de se passer?
Un frisson me parcourt tandis que je fouille la pénombre des yeux. Oui, vraiment, Jo, c'est la pire idée du monde. C'est de jour qu'il faut venir fouiller les bas-fonds de l'école. À plusieurs. Pas à deux et à l'aveuglette.
Milo lâche ma main et sort sa lampe de poche, qu'il allume.
— Mieux?
J'hésite avant de répondre.
— Tu penses que ça pourrait l'empêcher de nous tomber dessus par derrière? Je crois que l'idée que les monstres ont peur de la lumière ne rassure que quand on est gosses.
Ouais, et du coup ça ne changerait rien de venir de jour, génie, me crie ma Jo intérieure. Crotte.
Milo rit doucement, mais pas parce qu'il se moque. On dirait qu'il a vraiment trouvé ce que j'ai dit amusant.
Et vous savez ce qu'on dit: homme qui rit, rigole.
— Jo?
— Hmm?
— Tu avais l'air dans la lune.
— Oh.
Je me sens rougir. Je devrais être blasée, depuis le temps.
— Je me dis juste que ce n'est peut-être pas le meilleur moment pour partir à la recherche d'un truc dangereux dont on ignore tout, de nuit, sans personne dans les parages. Je n'ai pas vraiment d'envie suicidaire.
Milo fait un pas dans ma direction et pose une main réconfortante sur mon bras.
— De mon côté, je pense au contraire que c'est le meilleur moment possible. Tu veux savoir pourquoi?
— Tu vas encore me sortir une de tes phrases de drague à deux balles?
— Parce qu'on ne peut pas mourir, continue-t-il en m'ignorant.
Hein?
— Hein?
Il sourit.
— C'est mignon, comme tu penches la tête sur le côté, là.
— Hey, je me défends en redressant la tête et en lui donnant un petit coup sur le torse simultanément, le tout sans tomber je vous prie. Ça c'est une de tes phrases de drague à deux balles.
— Tu penses que je te drague?
Je remarque que j'ai la bouche ouverte quand, pour la deuxième fois de la soirée, il pousse ma mâchoire vers le haut pour la refermer. Un autre domaine dans lequel je ne ferai pas carrière: le flirt. Surtout dans la mesure où je me pétrifie quand il fait un nouveau pas dans ma direction, pas qui le rapproche tellement de moi que je panique et le pousse violemment pile au moment où il dit:
— Est-ce que ça fonctionne?
Je prétends n'avoir rien entendu tandis qu'il tombe par terre en rigolant comme un fou, lâchant sa lampe torche dans sa chute. Cette dernière glisse sur le sol tout en tournant sur elle-même, créant un décor lumineux de fête foraine miniature. Une chose est sûre, entre le bruit et le visuel, si on n'est pas seuls dans le bahut, on a plus que largement signalé notre présence.
— Tu vois, Joséphine, rien à craindre, dit-il en se relevant avant d'épousseter son pantalon. Si un monstre approche, tu l'enverras au tapis avant qu'il ait eu le temps de dire "bouh".
Son éternel sourire taquin éclaire unilatéralement son visage.
— Tu essaies de me dire que tu es un monstre?
Il arrête de sourire, et un flash passe rapidement sur son visage. Etait-ce de la tristesse? Est-ce que j'ai dit quelque chose que je n'aurais pas dû?
Je me fustige aussitôt mentalement en me souvenant de toutes les fois où on m'a traitée de monstre. Non, vraiment, adieu ma carrière dans le flirt.
— Donc, pourquoi c'est le meilleur moment pour fouiller? je relance aussitôt pour qu'un silence gênant ne s'installe pas.
Il ramasse sa lampe de poche et me fait signe de la tête pour que je le suive. Pourquoi j'ai l'impression qu'il sait très bien où il va?
— Parce que plusieurs de mes visions dans lesquelles tu es ne se sont pas encore réalisées, répond-il simplement, dos tourné. Et que tu m'as touché, tu sais comment je meurs. Si c'était dévoré dans le noir par une chose horrible, soit tu saurais à quoi ressemble cette chose horrible, soit tu m'aurais empêché de me balader de nuit.
Un flash. Une détonation. Fais-le, Joséphine.
Je secoue la tête. Pourquoi ces souvenirs me reviennent-ils à l'envers?
— Hun.
Je ne trouve rien d'autre à répondre. Sa réflexion est assez intéressante. En effet, si on doit encore trouver le livre, pas moyen qu'on meure ce soir. Sauf que...
Quelque chose me dérange dans ce raisonnement, mais je n'arrive pas à mettre le doigt sur ce dont il s'agit.
— Pourquoi j'ai l'impression que tu sais pertinemment où on va? je lui demande après qu'on ait tourné deux fois à droite, puis une fois à gauche, descendu un autre escalier et tourné encore une fois à droite.
Je n'ai aucune idée d'où on est. On a même dépassé un local technique qui avait l'air encore plus vieux que tout le bahut. Mais c'est peut-être juste la lumière des lampe-torches qui fait tout ressembler à des sous-sols russes de l'entre guerres.
— Disons que j'ai mené ma petite enquête, répond-il évasivement.
— Pourquoi ça ne m'étonne pas?
— Et moi qui pensais être un homme plein de surprises, se lamente-t-il.
Mais il laisse aussitôt tomber le masque en me désignant une porte dans un geste très théâtral.
— Tadam!
Et, aussi facilement que ça, on se retrouve devant une porte protégée par un verrou numérique.
Je m'approche, sourcils froncés. Ce truc a l'air beaucoup trop neuf comparé à l'état général du bâtiment. Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark.
— Je pense la même chose, fait Milo, pensif. Ne fais pas cette tête, c'est écrit sur ton visage.
Il est bien trop neuf, le blanc du plastique haut-de-gamme brillant de mille feux sous le faisceau de la lampe de poche.
— Et tu as le code?
— J'ai le code, confirme-t-il.
— J'ai un mauvais pressentiment.
— Tu as peur de passer du côté obscur, jeune Skywalker?
Je lève les yeux au ciel.
— On ne sait vraiment pas ce qu'il y a de l'autre côté, je lui fais remarquer.
— Je sais, Sherlock. Mais au hasard et au pire, un démon.
— Est-ce que ton but dans la vie est de placer autant de pop références que tu peux? je demande pour ignorer la deuxième partie de sa phrase.
— Il faut bien que je sois doué à quelque chose, répond-il en haussant les épaules.
J'examine le clavier numérique. Je n'arrive pas à me défaire de l'impression qu'il s'agit du digicode de la porte de l'enfer.
— On y va? demande Milo.
Je hoche la tête, ce qu'il remarque même s'il pointe la lampe-torche sur le pavé numérique, et il tape le code.
Il entre quatre chiffres. Une lumière rouge s'allume.
— Merde, lâche-t-il.
Il ressaie. Même résultat.
— Quel est le code que tu as vu?
— 2318. C'est ce que ta mère a tapé pour ouvrir la porte.
Je suis parcourue d'un frisson.
Lorsqu'il relève le bras pour ressayer, je l'en empêche.
— Jo?
Je laisse les secondes défiler. Mon mauvais pressentiment ne fait que grandir. D'un autre côté, s'il ne peut rien nous arriver...
Je tape rapidement quatre chiffres sur le pavé. Un lumière verte clignote, et le déclic du verrou automatique résonne dans le couloir vide comme le glas.
— Comment tu as fait ça? s'exclame Milo.
— 2310, pas 2318. C'est mon anniversaire.
— Oh.
Ça n'a pas l'air de le rassurer plus que moi. Pourquoi ma mère, qui ne travaille normalement pas ici mais à une heure de route, aurait-elle fait installer un verrou numérique ici? Et comment? Elle est forcément de mèche avec Grimaldi.
On garde le silence pendant ce qui me paraît une éternité. Puis il pose la main sur la poignée.
— Tu es prête?
J'ai envie de crier que non, qu'on ne doit pas, que quelque chose va arriver, que quelque chose perce les confins de mon raisonnement sans parvenir à traverser pour devenir une véritable idée. Mais, au lieu de ça, je garde le silence et, comme qui ne dit mot consent, il actionne la poignée.
La bouffée d'air qui m'arrive en plein visage est rance. Ça sent l'humidité à plein nez. On dirait qu'on est aux portes d'un marécage étouffant.
— Ignoble, chuchote Milo.
Pourtant, il s'avance.
Je reste tétanisée là où je suis, ce qu'il finit par remarquer, et il se retourne pour me prendre la main.
— On est dans le même bateau, me rassure-t-il. On est ensemble. Il ne peut rien nous arriver.
Je hoche la tête et je franchis le seuil de la porte. Cependant, en remarquant qu'elle commence à se refermer, je suis prise de panique.
Je retire mon pull, que je roule en boule pour le coincer dans les gonds afin de la maintenir ouverte. Pas envie de rester coincée de l'autre côté, et pas envie non plus de me séparer de mon sac et de son contenu. Il me reste un petit débardeur, mais mes bras sont nus et, malgré la chaleur de l'été et l'ambiance étouffante, le sous-sol est glacé et la chair de poule remonte ma peau comme une traînée de poudre.
Milo comprend ce que je fais et retire son pull à son tour pour sécuriser mon cale-porte de fortune. Sauf que lui ne porte rien dessous.
Je lève aussitôt les yeux pour éviter de regarder.
— Tout va bien, Joséphine?
— Hmm, hmm.
— On dirait que quelque chose te tracasse.
Je vois, en périphérie de ma vision, ses pectoraux se contracter à un rythme régulier. Oh, le petit saligaud.
— Non, tout va très bien, allons-y.
J'avance pour le dépasser, mais il attrape ma main au passage. Ça me rassure incroyablement.
Ce n'est qu'après avoir fait quelques pas que je prends le temps de vraiment observer les alentours. On est dans un couloir en pente, et les murs... L'humidité perle de partout, et les années l'ont transformée en stalactites de vase moisie. Toutes les images que la lampe-torche nous renvoie sont d'un vert marécageux. On dirait qu'on descend un gosier de moisissures.
Le sol est légèrement glissant lui aussi, et je tombe une fois, me râpant le genou sous mon jean et laissant échapper un petit cri qui résonne autour de nous comme le cri d'un oiseau de proie.
— Ça va? murmure Milo.
Je hoche la tête, incapable de parler, et me relève avec son aide. Je ne suis même pas dérangée par la vision de son torse élancé droit devant mon visage, ce qui en dit long sur mon état mental.
— Je...
Je crois qu'on devrait faire demi-tour. C'est ce que je suis sur le point de dire quand on remarque que le tunnel visqueux s'ouvre sur une pièce plus loin.
Non, pas une pièce...
On s'approche, et j'ai de la peine à comprendre ce que je vois.
On dirait une grande ouverture, comme une clairière taillée dans la roche. Une lueur verdâtre illumine faiblement l'ensemble, comme si toutes la mousse aux murs était phosphorescente.
Mon estomac se retourne. La nausée m'assaille et une violente migraine me déchire le crâne.
Et soudain je comprends ce qui me dérangeait.
— Milo, je commence.
Mais je remarque qu'il s'avance lentement.
— Milo!
Mon cri se transforme en hurlement lorsque je remarque, au centre de la pièce, une ombre plus dense que les autres. Milo la remarque aussi et se fige. L'ombre semble se déplier. Encore. Et encore. Grandir.
Je fais deux pas vers l'avant pour attraper Milo par le bras et je fais demi-tour aussi sec, l'entraînant avec moi.
Sans me retourner.
Sans m'arrêter.
Parce que Milo avait tort. Il est parti du principe qu'il ne pouvait rien nous arriver parce qu'on devait encore trouver le livre. Qu'on devait encore réaliser d'autres de ses visions du futur.
Sauf qu'il est aussi parti du principe qu'on pouvait sauver Victor.
On ne peut pas s'appuyer à la fois sur l'immuabilité de ses visions tout en misant sur le fait qu'on arrivera à les déjouer. Les deux hypothèses ne sont pas compatibles. Et ça risque de nous coûter la vie.
Là, tout de suite.
Ma tête est en train d'imploser tandis que je traîne Milo vers la sortie et, la dernière chose que j'entends avant de glisser sur le sol et de tomber tête la première vers la porte, est un son à la fois guttural et sifflé.
— Enfffffffffffffffffffffin.

TOUCH [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant