Le lendemain, Charlotte, Victor et moi sommes réunis chez Charlotte, dont la mère est au travail et la petite soeur à l'école, tout comme mon petit frère. Le collège a été refermé pour un nombre de jours indéfini, mais les petits classes, qui n'ont pas lieu dans la même école, ont toujours bien lieu. Tant que mon père est également au travail, je n'ai pas à me soucier de ma punition, puisque papa n'a pas de réel moyen de savoir si je suis à la maison ou non. Au pire, s'il essaie de m'appeler, je n'ai qu'à prétendre que je m'adonnais à mon sport préféré, la sieste. Ou que j'étais au jardin. Il m'a techniquement interdit de sortir de la maison, mais le jardin est dans la propriété. Ça représente une faille totalement exploitable, à mes yeux.
— Alors? me relance Charlotte, et je prends conscience que je suis silencieuse depuis un peu trop longtemps.
— Il dit qu'il cherchait M. Martin pour essayer d'empêcher son meurtre. Il ne pensait pas qu'il se produirait aussi rapidement dans la semaine.
Charlotte et Victor hochent la tête. J'ai décidé de faire confiance à Milo, et je leur ai rapporté plus ou moins en détail la conversation qu'on a eue la veille. Je leur ai tout dit, sauf un détail légèrement important pour lequel j'attends le principal intéressé.
Qui sonne à la porte à ce moment exact, comme s'il avait entendu mon appel à l'aide pour arriver.
— Je vais ouvrir! je lance en me levant telle un polichinel monté sur ressorts en filant vers la porte d'entrée comme si j'étais chez moi.
C'est la première fois que je viens chez Charlotte. J'espère qu'elle ne m'en voudra pas trop.
En tout cas, elle ne dit rien tandis que j'ouvre à Milo. Mon coeur fait un petit bond dans ma poitrine lorsqu'il me sourit en guise de salutations. Je ne m'habituerai jamais à ses yeux, et encore moins à pouvoir le regarder autant que je veux.
— Entre, je lui dis, toujours comme si j'étais chez moi.
Je m'efface de la porte et il pénètre dans l'appartement de Charlotte d'une démarche assurée. Je le laisse passer devant moi. Juste histoire de, euh, surveiller ses arrières.
— Tu veux boire quelque chose? lui propose Charlotte, bonne hôtesse.
On carbure tous au soda depuis une heure, ce qui n'est pas la meilleure idée du monde puisqu'on était déjà excités comme des puces avant. Et par on, j'entends surtout moi. Le sucre n'a jamais eu une bonne influence sur moi et disons que, disons, disons que rester calme devant Milo n'a jamais non plus été mon fort.
Il secoue la tête en s'avançant dans le salon, où on est assis.
— Fais comme chez toi.
Mais il reste droit comme un i, pas vraiment à l'aise non plus. Enfin, je dis non plus, mais ce n'est pas que je ne suis pas à l'aise, c'est que je n'ai pas envie de parler à Charlotte et Victor de la suite.
— Alors, de quoi on parle? demande Victor.
De la pluie, du beau temps, des prochaines morts imminentes?
— En fait, Charlotte a fait des recherches, je commence. Je pense qu'on a trouvé quelque chose.
Je fouille dans ma poche pour sortir la photocopie de l'album de promotion de ma mère, que je lui tends. Un vague sourire effleure ses lèvres, et je me demande s'il est également amusé par le casque de boucles de son père.
— C'est M. Martin, derrière eux, explique Victor, qui ne sait de toute évidence lui non plus pas si Milo l'a déjà vu vivant.
— Et mon père.
— Et un certain Flavio Bernasconi, conclut Charlotte. Qui a disparu du jour au lendemain à la même période que les meurtres ont eu lieu il y a vingt ans.
— Les meurtres? demande Milo, qui semble surpris.
Oh, oh. Il n'était pas au courant.
— J'ai entendu mon père en parler, explique Victor. Il y a eu cinq meurtres et un disparu il y a une vingtaine d'années.
— Et on n'a absolument rien trouvé dessus, je termine. Donc soit ça n'a jamais existé...
— Soit c'est vraiment très louche.
Il hoche lentement la tête. L'implication de ces révélations doit lui faire le même effet que ça nous a fait quand on l'a appris.
— Et ta mère...
— Ma mère est définitivement louche, je le coupe. Je veux dire, je sais qu'elle n'a tué personne. Je le sais. Mais elle a quelque chose à voir dans tout ça, tu as raison, c'est forcé.
Il hoche à nouveau la tête, sombre, et je profite de ce mini répit pour me donner la force de poser la question qui me brûle les lèvres.
— Est-ce que tu pourrais la toucher?
Il hausse un sourcil, presque amusé.
— Pas comme ça, je me défends aussitôt. Pour avoir une vision. Si elle a quelque chose à voir là-dedans... il y a des chances que tu en aies une, n'est-ce pas?
— En effet.
Il n'ajoute rien. Il a l'air tellement pensif qu'on n'arrive pas à se décider à parler pendant de longues secondes. Jusqu'à ce qu'il brise lui-même le silence qu'il a instauré.
— Et ce Flavio? Personne ne sait ce qu'il est devenu, donc?
— Personne, confirme Charlotte. Mais on a trouvé l'adresse qu'il avait quand il était en cours ici, et c'est toujours le même nom de famille sur la boîte aux lettres.
La manière dont ils ont obtenu cette information reste un mystère. Ils n'ont pas voulu me le dire. Ça ne devait pas être très légal.
— On se disait qu'on pourrait y faire un saut demain, reprend Victor. Poser quelques questions. Si vous êtes partants.
Milo et moi nous regardons et hochons la tête presque au même moment.
— Je suis contente que vous soyez réceptifs, nous dit alors Charlotte, parce qu'on a trouvé autre chose.
Ça, contrairement à la visite chez Flavio, ils ne m'en ont pas parlé. Ma curiosité est piquée.
— On me fait des cachoteries? je demande avec un faux ton de reproche.
— Disons qu'on vient de le trouver, s'explique-t-elle. On n'a pas eu le temps. C'est peut-être rien, mais c'est peut-être...
Elle laisse traîner sa phrase, tellement longtemps que, même Victor, qui sait de quoi elle va parler, la supplie visuellement d'accoucher.
— Il doit s'agir d'un démon, dit-elle dans un souffle.
— Un démon? je répète, un léger sourire aux lèvres.
Dieu seul sait pourquoi, cette idée m'amuse. Puis je déchante d'un coup. Elle est sérieuse. Oh bon sang, elle est sérieuse.
— Qu'est-ce qui te fait arriver à cette conclusion? demande Milo, qui prend tout ça bien plus calmement que moi.
Après l'amusement initial, je suis quasiment en train d'hyperventiler. Un démon? Un dé-mon? Comment peut-il rester aussi calme? Qu'est-ce que quatre adolescents boutonneux peuvent bien faire contre un démon?
D'un autre côté, à quoi je m'attendais, aussi? Je savais que la chose qui avait fait ça ne pouvait pas être humaine. Rien d'humain ne peut faire de tels dégâts. Mais entre le penser furtivement entre deux accès de bravoure et me l'entendre dire, il y a un pas que je n'étais franchement pas prête à franchir.
— L'état des corps de M. Martin et Caroline correspond à l'état de corps tués par des démons pour se nourrir, explique-t-elle de manière presque anodine.
— Je te euh... demande pardon?
Pourquoi s'exprimait-elle comme si les démons étaient choses courantes dans notre monde? Les démons étaient l'apanage des séries télévisées et de la bible. Et encore, pour la deuxième, je n'étais même pas sûre.
— J'ai fait de nombreuses recherches, répond-elle sans se démonter. J'ai parlé à un exorciste, aussi. Il pense que je fais des recherches pour écrire un roman policier, et il a été vraiment très, très utile.
— Euh okay, et du coup, on l'appelle pour venir nous débarrasser de ce truc? je demande sur un ton de conversation puisque, visiblement, si j'en crois toutes les personnes présentes, on est juste en train de discuter normalement de tout et de rien et pas du fait qu'un démon, d-é-m-o-n est potentiellement en train de hanter notre école et de tuer profs et élèves.
— Il ne m'a pas dit exactement comment on s'y prend, avoue Charlotte. Il était davantage versé sur l'exorcisme. Et je ne crois pas que notre démon possède quelqu'un. Mais je suis encore sur l'affaire. Je le rappellerai demain, et je continuerai mes recherches.
« Notre démon ». Je hausse les sourcils et cligne lentement des yeux, plusieurs fois, en une vaine tentative de revenir dans le monde réel. Rien ne se produit. Alors je regarde Milo et Victor, qui semblent trouver tout ça tout à fait normal. Pincez-moi et dites-moi que je rêve. Je vous en supplie.
— Ça coïncide avec mes informations, nous dit Milo.
— Tu as quoi comme informations? demande Victor.
Milo et moi nous regardons à nouveau, et il me semble qu'on a une de ces conversations silencieuses comme les couples qui sont au téléphone et dont aucun ne veut raccrocher en premier.
— Eh bien, commence-t-il en laissant traîner la voix.
Puis il me regarde. Ce sont tes amis, semble-t-il me dire.
Oui, mais c'est toi qui les voulais avec nous, lui réponds-je avec des yeux meurtrier et un sourire forcé.
— Disons que je sais qui sera la prochaine victime, dit-il après quelques secondes supplémentaires de ce petit jeu pas drôle du tout.
— Qui ça? demande un Victor surexcité. On la connaît? Elle est dans notre classe?
— Eh bien, euh, oui, je commence en cherchant mes mots.
— Mais vas-y accouche, Jo, on n'a pas toute la soirée.
— Il est dix heures du matin, fait remarquer Charlotte.
— C'est une expression, répond-il, presque exaspéré. Pourquoi tu prends toujours tellement les choses au pied de la lettre?
Charlotte secoue la tête comme si elle avait affaire à un enfant peu raisonnable. Quelque part, c'est un peu le cas.
— Victor, je commence après avoir vérifié qu'il est bien assis, j'ai besoin que tu restes calme. J'ai quelque chose de très difficile à t'annoncer. Tout porte à croire que tu seras l'une des prochaines victimes.
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TOUCH [TERMINÉ]
Novela JuvenilPas facile d'être ado. Encore moins quand on est dotée d'un pouvoir qui permet de vivre les dernières secondes de la vie de quelqu'un rien qu'en le touchant. Même accidentellement. Même sans le vouloir. Bienvenue dans ma vie, les gars. C'était déjà...