Le lundi suivant, l'école rouvre comme prévu. Ou presque.
C'est Mme Breit qui nous accueille et qui nous fera la classe toute la journée. Ma mère et le père de Milo étant encore bien amochés de notre rencontre avec Az'hoqan, ils vont se reposer encore quelques jours.
Quand j'arrive devant mon casier, en découvrant les tags, un étrange sens de normalité m'assaillit. Je serai toujours Jo la BarJo pour ces gens-là, le monstre de foire à ne pas approcher, mais ce n'est pas grave. Ils peuvent bien me regarder de travers et m'appeler comme ils veulent. Je ne suis plus seule.
— Ah c'est nouveau, ça.
Je me tourne vers Charlotte, qui est en train d'apprécier le nouveau pénis grandeur nature qui orne mon casier.
— Ça ressemble à de l'art emmalouien, tu en penses quoi ? je lui demande.
Elle se met à fouiller dans son sac à dos et en sort un gros feutre noir.
— J'en pense que, comme elle, il manque cruellement d'humanité, dit-elle en commençant à lui dessiner des yeux et un sombrero. Voilà, c'est mieux, quand même, non ?
Maintenant, il arbore même une moustache. On dirait un petit pénis mexicain. Il est adorable. Je me demande ce qu'elle va faire pour l'insulte fort peu imaginative juste au-dessous.
— Qu'est-ce que vous faites ? demande Victor en arrivant.
— Oh, on prend de l'avance sur la classe d'art visuels, je réponds d'un ton vague. Comment tu vas ?
Il a un gros bandage sur le bras, mais, en dehors de ça, il rayonne.
— Nickel bleu ciel, dit-il avec un immense sourire.
— Ne laisse pas Jo trop te déteindre dessus, lui conseille Charlotte.
— Ni Charlotte, je rétorque en désignant son art brut du menton. Elle est dans sa période moustache. Ça ne t'irait pas du tout.
— Charmant, observe Victor. Bien plus vivant que tout à l'heure.
— C'est toi qui l'as fait ? je m'étonne.
— Non, j'ai vu Emmalou s'enfuir rapidement d'ici quand je suis allé aux toilettes.
— Ha ! Qu'est-ce que je disais ? je demande, triomphante en me tournant vers Charlotte. Elle a grâcié mon casier d'un original, et tu l'as défiguré.
— Refiguré, plutôt, me dit Charlotte.
— Toi aussi, je te déteins dessus, je lui dis, un immense sourire aux lèvres.
Elle me sourit en retour.
— On t'a laissé sortir de ta cage ? demande une voix familière que je n'avais heureusement pas entendue depuis longtemps. Je vois que tu n'as toujours pas compris comment fonctionne un peigne.
La pique de Benjamin ne m'atteint même pas. Je lui adresse un signe de la main en guise de salutations, comme si je lui rendais son propre bonjour, comme s'il n'avait rien dit de déplacé. Ma réaction semble le prendre assez au dépourvu pour qu'il sèche deux secondes sur quoi me dire ensuite, mais rien ne vient, alors il s'en va sans rien ajouter, suivi de sa clique. Adios, muchacho !
— Vous avez des nouvelles de Flavio ? demande Victor.
— Pour ce que j'en sais, c'est Grimaldi qui s'occupe de lui. Milo m'a dit qu'il était dans la chambre d'invités. Il va bien, il semble normal même s'il ne parle pas beaucoup. L'avenir nous en dira davantage.
— Dis voir, tu aurais pu porter autre chose, dit Charlotte en regardant Victor, qui arbore son t-shirt Led Zepplin déchiré.
— Je l'ai lavé, se défend-il.
— J'espère bien, répond-elle avec un ton légèrement dégoûté. Il devait être recouvert de bave de démon. Tu n'as pas fait fondre ta machine à laver ?
— Aucun accident à déplorer, la rassure-t-il avec un grand sourire. Je me suis juste dit que, vu la vision de Milo... même si on a peut-être changé le futur... enfin... si on veut une chance de retrouver le livre... Bref, je le porte.
Je comprends ce qu'il veut dire, même si ce n'est pas totalement exact. Je ne sais pas si nous avons réellement réussi à changer le futur. Quand j'ai parlé à Milo, après l'incident de la grotte, il m'a dit que sa vision s'était bel et bien réalisée : il n'avait pas vu Victor mort. Il avait seulement vu le démon le mordre. Et ça s'est produit. En toute logique, la vision dans laquelle nous sommes autour du livre se produisait après la morsure, et non pas avant comme on le pensait au départ.
Je n'ai pas fini de démêler les évènements des derniers jours. Il me faudra probablement des semaines pour y parvenir.
— Quelque chose me dit que tu vas beaucoup le porter cette année, fait Charlotte, défaitiste.
— Je suis prêt à me sacrifier pour la bonne cause.
— Salut Milo, dit une voix mielleuse.
— Salut, Emmalou, répond-il en lui adressant un signe de la main.
Milo s'approche de nous et, de loin, Emmalou fait les petits yeux en remarquant mon casier. Quelque chose me dit qu'elle n'apprécie pas les modifications de Charlotte, ni à son dessin, ni à son inscription, qui a été modifiée en « putois à bisous ». On voit encore ce qui était écrit dessous, mais bon, en attendant de le nettoyer, ça fera l'affaire. Enfin, je dois dire que j'aime beaucoup « putois à bisous ». Je vais peut-être le garder tel quel, finalement. Merci Emmalou. Qui doit être bien frustrée parce que le beau gosse ne s'intéresse toujours pas à elle et que sa demande de tenir une fête en l'honneur de Caroline dans la salle de sport a été refusée. On a préféré faire un autel avec des photos d'elle et des fleurs dans le couloir.
— Vous pouvez me dire où se trouve la 2b, demande Milo en guise de salutations.
Puis il m'adresse un de ses demi-sourires qui me fait fondre. Je n'ai même pas besoin que Victor me le fasse remarquer pour savoir que je deviens toute rouge.
— Tu vas bien ? je lui demande.
— Ça va.
— Ton poignet ?
Il monte le bras pour nous montrer la marque, qui n'a pas du tout changé depuis la dernière fois qu'on l'a vue.
— C'est moche, mais ça ne me fait même pas mal, dit-il en haussant les épaules. Vous avez une minute avant les cours ? J'ai un truc à vous montrer.
On se regarde tous, un air de connivence dans les yeux, puis on acquiesce et on suit Milo, qui nous conduit vers la bibliothèque. Par mesure de précaution, et comme je marche derrière lui, je laisse Charlotte et Victor du côté du mur. Mieux vaut être trop prudent que pas assez. J'ai de nouvelles lunettes. J'aimerais bien que celles-ci durent plus de trois jours.
Milo s'arrête devant la bibliothèque et sort une clé de sa poche. Il ignore nos regards interrogateurs et ouvre la porte, puis nous fait discrètement entrer.
Lorsque c'est fait, je plante mon regard dans le sien pour lui signifier de nous expliquer.
— On n'a plus de bibliothécaire pour le moment, dit-il en haussant les épaules. C'est un bon endroit pour nos petites réunions.
— Nos petites réunions ? demande Charlotte d'une voix intéressée.
— Je crois qu'on a encore du pain sur la planche, dit Milo d'un ton presque désolé. Je ne pense pas qu'on se soit débarrassés d'Az'hoqan.
— Pourquoi ? demande Victor.
— Parce que j'ai encore une vision qui doit se réaliser.
Moi aussi, je pense, un frisson remontant le long de mes bras. Même deux.
— Et qu'elle est sur le point de se réaliser.
Cette deuxième partie de phrase me fait aussitôt revenir au présent. Ma curiosité est piquée.
Il s'approche du comptoir, attrape quelque chose et le pose sur la table entre nous.
C'est le grimoire.
Il n'a pas été absorbé par le puits. C'est lui qui l'a volé. Comment a-t-il fait ? C'est un crocheteur de serrures ET un pickpocket ? Qui est ce jeune homme ?
Alors que Milo ouvre le livre, sa vision se réalise. Nous sommes tous les quatre autour de la table, sur laquelle est posé le grimoire. Et Victor porte son tee-shirt déchiré.
— Prêts à chasser du démon ? nous demande-t-il.
Charlotte et Victor acquiescent.
Je reste figée un instant, comprenant tout ce que cela implique. La mort de ma mère. La mort de Milo. Nous n'avons pas du tout réussi à changer le futur.
Mais je n'ai pas dit mon dernier mot.
— Prête.Fin du tome 1.
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TOUCH [TERMINÉ]
Teen FictionPas facile d'être ado. Encore moins quand on est dotée d'un pouvoir qui permet de vivre les dernières secondes de la vie de quelqu'un rien qu'en le touchant. Même accidentellement. Même sans le vouloir. Bienvenue dans ma vie, les gars. C'était déjà...