Le Plan pas si foireux que ça

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Vingt minutes plus tard, nous avions un plan.

— Puisque je te dis qu'il nous faut des noms de code, insiste Victor.

Charlotte le fusille du regard.

— Ce plan est foireux, fait-elle remarquer d'une façon qui ressemble davantage à un sifflement qu'à un chuchotement.

— Pas si foireux que ça, rétorque fermement Victor à mi-voix.

— Je te dis qu'il est complètement foireux, s'emporte Charlotte.

— Tu as mieux à proposer, Einstein ?

Je les regardais se prendre le bec, fascinée, depuis bien trois minutes et demie en me demandant comment il était possible de se disputer aussi vertement tout en chuchotant et sans attirer l'attention des... quoi... boh, centaines d'élèves tout autour. Nous avions fait de notre mieux pour échafauder quelque chose avec les moyens du bord. Tout allait bien jusqu'à ce que Victor propose qu'on s'assigne des noms de code, chose que je jugeais tout à fait justifiée, contrairement à Charlotte, qui n'avait pas trop apprécié le sien.

Comme Charlotte ne trouve toujours rien à répondre, je m'immisce bien à contrecœur dans leur conversation. Cette dispute à mi-voix m'a permis de me vider un peu l'esprit et d'avoir à nouveau presque l'impression d'être l'ado normale que je ne suis pas vraiment. Mais on a un cadavre à aller palper et une mère à sauver.

— Ce plan est légèrement foireux, je statue. Mais, dans la mesure où on n'a rien de mieux, on va devoir faire avec.

Charlotte m'adresse un petit sourire pour signifier son assentiment. Je me demande ce qui se passerait si je mentionnais à mon tour des noms de code.

— Y a plus qu'à, lance Victor.

Nous restons tous trois figés. Le silence s'allonge au point de s'éterniser.

— Est-ce qu'on est vraiment sur le point de faire ce qu'on est sur le point de faire ?

Je n'avais pas conscience d'avoir parlé — ou même d'avoir voulu le faire — avant que la phrase ne franchisse mes lèvres. En guise de réponse, ils acquiescent solennellement. Pendant un instant, j'ai l'impression qu'on a cinquante ans, pas seize, et qu'on s'apprête à aller mener le combat de notre vie. Un peu comme dans un western. Je m'attends presque à voir un de ces buissons séchés rouler dans la salle de sport, mais, lorsque je tourne la tête, c'est le nouveau que je vois. Il est en train de lire Harry Potter et un léger sourire flotte sur ses lèvres. Marrant, je ne me souvenais pas que le tome trois était si rigolo.

Pendant une fraction de seconde, il relève le regard pour le planter dans le mien et, là, noyée dans tout ce bleu, j'ai la sensation qu'il sait. Il sait. Je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il sait au juste, mais il le sait, et cette simple pensée me terrifie pour une raison qui dépasse mon entendement.

— Je dois aller aux toilettes ! je crie en me levant d'un bond désordonné.

J'ai lancé la première phase du plan. C'est fait. Plus de retour en arrière possible. Le plan légèrement foireux est en action.

Sauf que c'est Charlotte qui était censée prononcer cette phrase.

Mon cœur fait un plongeon si violent dans ma poitrine que mes intestins se retournent.

Ohmondieu, ohmondieu, ohmondieu.

J'ai fait foirer le plan avant même que la réelle action ne commence.

Je suis un gros bout de caca.

Je vais tout faire capoter !

Une centaine de paires d'yeux se tournent dans ma direction. Je sens mes jambes flageoler. Je vais faire pencher la balance du côté de « foireux » et tout va rater par ma faute. J'aimerais bien blâmer cet imbécile de nouveau dont je ne connais toujours pas le prénom, mais je suis totalement responsable de ma foirade.

TOUCH [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant