Tout n'est pas facile comme dans les films

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Au cas où les seize premières années de ma vie auraient pu laisser planer le moindre doute, j'ai la confirmation que je suis la pire des chochottes de l'univers quand, n'ayant aucune idée de quoi faire en séchant les cours, je décide d'y retourner. Pathétique, je sais. D'un autre côté, je suis déjà privée de sortie pendant trois mois, un tueur est en liberté, et ma mère ne risque pas de mourir pendant qu'elle donne les cours.

Grâce à la récré de quinze minutes, j'ai moins de dix minutes de retard en revenant. On me dévisage quand je rentre, mais ma mère ne fait aucun commentaire. Je vais silencieusement prendre ma place à côté de Charlotte, qui me dit quelque chose d'une petite voix que je n'entends pas vraiment. Ça ressemblait à un encouragement. Chose étonnante, Milo est de retour lui aussi. Emmalou me fusille du regard dès que j'entre, et je la vois du coin de l'œil poser une main sur l'épaule de Milo et se pencher vers lui pour lui murmurer quelque chose à l'oreille. Je garde résolument les yeux fixés sur un coin du tableau quelque part à côté de ma mère, mais je mettrais ma main au feu qu'il est également revenu en retard et qu'il est en train de me regarder.

À midi, je file à l'anglaise en prétextant devoir sortir Mr Bojangles, ce qui est la vérité, et j'en profite pour une session câlins qui me remonte un peu plus le moral qu'à lui. Lorsque je reviens, mes soupçons sont confirmés quand Victor s'esclaffe dès que j'arrive en classe.

— Emmalou est en train de chier sa jalousie par briques !

— Langage, le reprend Charlotte d'un ton automatique sans relever les yeux du premier livre qu'on va lire en français cette année.

— Ben quoi ? C'est la vérité ! Tu as bien entendu ce qu'elle disait à midi.

— Ça ne change rien au fait que la vulgarité n'est pas nécessaire, rétorque Charlotte sur le même ton en continuant sa lecture.

Non, mais qu'est-ce que ça détend, je pense.

— Elle disait quoi ? je demande, la curiosité me brûlant la langue.

— Oh, juste que tu es une femme morte, répond-il d'un petit ton fataliste.

Comme pour ajouter au sens dramatique de sa phrase, la principale intéressée entre dans la classe sur ces mots et m'épingle du regard le plus noir que je l'ai jamais vue lancer à quiconque.

— Oh, super. Qu'est-ce que j'ai encore fait ?

Charlotte relève la tête.

— Toi, tu n'as rien fait. Mais le nouveau s'intéresse de toute évidence à toi et, dans la mesure où elle a décidé qu'il lui appartenait, tu es devenue l'ennemie publique numéro 1.

— La femme à abattre, confirme Victor avec un sourire bien trop large vu le sujet de la discussion.

— Euh..., je commence. Elle se fait des films, là. Il ne s'intéresse pas du tout à moi.

— Il te court littéralement après, fait remarquer Charlotte. Il n'arrête pas de te demander de parler de seul à seule. Elle est bête, pas aveugle. Alors quand il revient en retard aux cours, comme quelqu'un d'autre qu'on connaît, elle en tire des conclusions qu'on tirerait tous. Tu n'aurais pas quelque chose à nous raconter ?

Derrière elle, Victor joue des sourcils. Ils ont l'air de tellement s'amuser que je me demande un instant s'ils se souviennent que quelqu'un est mort lundi et que le nouveau n'est pas tout blanc. Je n'ai pas le cœur de le leur rappeler, dans l'éventualité où c'est bel et bien le cas. Je leur envierais même cette faculté.

— Il ne s'intéresse pas à moi comme ça, je me défends. Il voulait me parler, moi toujours pas, donc on n'a pas vraiment discuté.

— Mais ? insiste Charlotte. Je sens un « mais » qui ne vient pas.

TOUCH [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant