Un chuintement régulier venait de l'atelier de Paulo. Des étincelles bleutées fuyaient en gerbe au-dessus des mains calleuses de l'ébéniste. Thys profitait de chaque moment libre pour retrouver le vieil homme et s'exercer à son nouveau talent. Il espérait créer la clef qui permettrait d'ouvrir le cylindre de Bolivie.
D'ailleurs, toute l'Ethérie comptait sur lui et il était fier d'être enfin indispensable aux autres comme pouvait l'être sa sœur. Il avait appris à palper l'écorce, ressentir les veines du bois et laisser la matière le guider. Des râteaux, des bancs et des sabots étaient nés de ses mains talentueuses. À chaque fois, le vieil homme avait félicité son apprenti pour ses progrès et sa fabrication abondante. Mais Thys n'arrivait plus à se réjouir de ses créations. Il attendait d'éprouver une fois encore l'ivresse de posséder le bois, de se fondre en lui pour réaliser la clef qui livrerait l'âme du cylindre.
Il était presque vingt-deux heures. Paulo rangeait son matériel en sifflotant. Thys caressait une grosse pièce d'érable alors que s'accumulaient à ses pieds deux plats et quatre pieds de table, sa production de la soirée.
— Dis, fiston, ze crois bien que t'en as achez fait pour auzourd'hui, zozota le vieil homme édenté, tu ne vas pas recommencher une œuvre maintenant.
Thys, concentré à cerner le veinage de son morceau de bois, ne prit pas la peine de lever la tête.
— Si, celle-là, je la sens bien, s'entêta le garçon. Ne t'inquiète pas pour moi, va te coucher, je range tout.
Paulo dodelina de la tête, se gratta le bras avec vigueur en pinçant les lèvres, signe de réflexion intense.
— Prends choin de tout et ne te couche pas trop tard ! Finit-il par concéder.
Il accompagna sa recommandation d'une tape amicale dans le dos de son apprenti et partit en trainant la jambe. Thys avait à peine remarqué l'absence de Paulo
Comme une métamorphose, ses membres s'étirèrent, se ramifièrent en une multitude de capteurs. Son corps gonfla et se gorgea de vie. Il devenait arbre. Sensation grisante et affolante à la fois. À la manière d'un nouveau-né qui teste ses cordes vocales, Thys inspira de toutes ses feuilles le gaz environnant. C'est alors qu'il entendit un son chuintant et monocorde qu'il identifia tout de suite comme un langage. La voix de l'érable, son hôte. Les sons se traduisirent en images dont Thys se sentit imprégné au point de croire les vivre. Il devint une graine sèche, mais gorgée de vie. La terre autour de lui était appétissante et il s'y enfouit. Peu à peu, il étira de petits filaments qui aspirèrent l'essence terrestre et il pointa de fraîches feuilles humides hors du sol.
Là, feu d'artifice de couleurs, d'odeurs, de sons tous inédits, inimaginables pour un humain. Il grandit, vite. En quelques années, il devint une pousse vigoureuse, un peu folâtre. Il observa la vie qui l'entourait, sympathisa avec quelques conifères, accueillit malgré lui des colonies d'insectes qui le firent souffrir. Il s'endurcit. Il affronta deux tempêtes et une sécheresse. Perdit trois branches et eut le tronc tailladé par un jeune couple d'humains qui déclarait son amour. Il vit les routes se construire et suivit la vie de trois familles d'hommes qui se succédèrent à l'abri de son feuillage. Il écoutait tout et se nourrissait aussi bien du sol, de l'air, de l'eau que de l'expérience humaine. Il vieillit, son écorce craquela. Elle était trop petite pour l'énergie qui grandissait encore en lui. Il n'aperçut pas venir la tronçonneuse, mais sentit sa mâchoire et l'indifférence de celui qui la manipulait. Il eut mal. Très mal. Et perdit tout. De l'arbre majestueux et plein de connaissances, il ne resta qu'un bout de tronc et des rondins pour les cheminées. La tristesse était si forte que pour la fuir Thys se recroquevilla en lui-même et rompit l'échange avec le morceau d'érable.
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Thys, la Cité de Yonagoni ( Tome 3) [Terminé]
FantasyThys, Mélia et les Ostendes sont bien loin d'avoir achevé leur mission. La conquête des autres cylindres s'annonce périlleuse. Les découvertes et les surprises sont encore nombreuses, tout autant que les voyages à travers le monde. Il leur faut à la...