/!\ Contenu violent et sensible /!\
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La cour était bondée, comme chaque matin des dizaines d'étudiants traînaient devant le bâtiment, dans le froid matinal qui enveloppait la ville, à attendre que les cours débutent. Certains profitaient de ces quelques minutes de liberté pour fumer une cigarette, la lueur de leur mégot brûlait dans l'obscurité, et un souffle gris de nicotine s'échappait de leur bouche. D'autres terminaient d'avaler leur petit déjeuner, une soupe brûlante enfermée dans un thermos, du riz rangé à la hâte dans une petite boîte, des tranches de bacon desséché. Et d'autres tenaient des fiches colorées dans leurs mains, essayant vainement d'apprendre des notions abstraites qui ne se trouveraient probablement pas dans le contrôle qu'ils allaient sûrement bientôt avoir.
Kazutora avait le droit à ce spectacle tous les matins. Il arrivait toujours en avance à l'université, la plupart du temps il attendait l'heure des cours dehors, et laissait son regard se promener sur les autres étudiants. Mais aujourd'hui, ses yeux étaient fermés.
Le jeune homme était allongé sur un banc de pierres froides qui lui faisait mal au dos, mais son corps engourdi par le froid ne sentait plus la douleur, et ses jambes pliées semblaient s'être congelées. Sa capuche noire couvrait sa tête, jusqu'à cacher ses yeux fermés, et le tatouage de son cou était étouffé sous le col moulant du t-shirt qu'il avait sous son pull.
Kazutora respira lentement pour essayer de se détendre, et tenta de laisser son esprit divaguer sur la mélodie que ses écouteurs jouaient dans ses oreilles. Il avait terriblement envie de rentrer chez lui, de se rouler en boule dans son lit et de ne plus jamais en sortir. De juste partir loin, loin de l'université, de ses amis, de Senju, de Tokyo. Loin de sa vie, loin de son passé, loin de son appartement et plus que tout... loin de lui.
Le jeune homme n'avait plus la force de vivre sa vie, d'être la personne qu'il était. Il n'en avait jamais voulait de cette vie, mais il s'était mis tout seul dans un état si déplorable, et au fil du temps il n'avait plus cherché à en sortir. Kazutora s'était toujours sentit vide, du plus loin qu'il se souvienne, il avait toujours sentit que son regard était horriblement dénué d'expression, que son visage ne reflétait rien, même lorsqu'il souriait. Mais c'est derniers temps... ça c'était un peu arrangé.
Le vide abyssal qu'il ressentait semblait plus effacé lorsque Baji et Mikey étaient à ses côtés. Kazutora se sentait exister avec eux, et avec ses nouveaux amis. C'était comme si au final, il n'était qu'une poupée, un pantin, qui ne prenait vie qu'en la présence des autres, et qui mourait lorsqu'elle était confrontée à la solitude. Ses amis lui donnaient l'impression de combler une partie du vide qu'il ressentait, Kazutora se sentait bien avec eux la plupart du temps.
Mais... avec Senju c'était encore mieux. Kazutora détestait sentir son cœur battre à toute vitesse, comme s'il allait exploser à tout instant, à la simple pensée de la jeune femme. Et il détestait encore plus sentir son cœur se serrer lorsqu'il se rappelait qu'il ne l'a reverrait plus. Pourquoi avait-il fallut qu'il fasse ça ?
Kazutora savait dès le début qu'il ne sortirait pas avec Senju, il se l'était interdit et continuerait de se l'interdire jusqu'à la fin. Mais pourquoi avait-il fallut qu'il soit incapable de ne pas réellement s'attacher à Senju ? Il aurait dû la repousser, refuser de la voir, ne pas continuer avec elle.
Et maintenant Senju l'aimait et c'était la pire chose qui puisse arriver. Kazutora s'en voulait tellement pour l'avoir laisser l'apprécier, alors qu'il était une personne toxique et horrible. Et le pire était arrivé... Vendredi elle lui avait dit qu'elle l'aimait... et Kazutora l'avait repoussé. En lui disant que c'était impossible entre eux deux, Kazutora avait vu quelque chose se briser dans son regard, mais le peu de chose encore intacte chez lui s'étaient aussi brisées.
De tout le week-end, Kazutora n'avait pas pu penser à autre chose qu'à ça, il n'avait pas pu travailler, ni se reposer ou même manger. Il était resté recroquevillé dans son fauteuil, à se ronger et s'arracher la peau autour des ongles jusqu'à se faire saigner, sans pouvoir s'arrêter. Le jeune homme avait l'impression de retomber vers le fond inexistant du gouffre dans lequel ses amis essayaient vainement de le sortir depuis des années.
C'était comme si le temps retournait subitement en arrière, que tout retombait à zéro, qu'au final, il ne s'était jamais reconstruit et qu'il n'avait vécu que dans l'illusion de remonter la pente. Il n'avait jamais eu l'impression que le monde s'acharnait sur lui, Kazutora avait toujours pensé qu'il méritait tout ce qui lui arrivait, après tout, sa vie n'était qu'un enchaînement d'erreur et de problème, durant sa jeunesse Kazutora n'avait fait que tomber toujours plus bas, mais aujourd'hui, qu'est-ce qu'il avait fait pour mériter de se sentir aussi mal ?
Ce n'était pas que le fait d'avoir perdu Senju qui faisait Kazutora se sentir aussi mal. En réalité ça faisait un moment qu'il se sentait vraiment mal, depuis la rentrée précisément. Le jeune homme se demandait de plus en plus comment il pouvait avoir des amis comme les siens. Ils étaient tous incroyables, parfaits, ils avaient chacun leur moitié et... pourquoi Kazutora n'arrivait pas à être comme eux ?
Il ressentait quelque chose d'indescriptible au fond lui. Le sentiment de ne pas être être assez, d'être loin derrière ses amis, à un niveau bien trop inférieur. Dire qu'il se sentait nul à côté d'eux était un euphémisme, Kazutora avait l'impression que lorsqu'il était avec ses amis, il disparaissait au yeux du monde, comme si au final il n'existait pas vraiment, qu'il était invisible, effacé, comme une personne qui se tiendrait simplement là, peinte dans le décor, sans attirer le moindre. Le jeune homme n'était pas jaloux de ses amis, il s'oubliait lui-même, s'il était quelqu'un d'autre il ne se remarquerait pas non plus.
Senju était la seule à s'être intéressée à lui, à lui et pas à Baji, à Mikey, à Chifuyu ou encore à Draken. À lui, à sa personne, à sa vie, aux détails inutiles de son existence qui ne lui apportaient rien du tout. Kazutora s'était sentit vivant avec elle...
Et c'était finit...
Le jeune homme sentit soudainement une main tapoter doucement son front, caché par le tissu noir de sa capuche, et il ouvrit lentement les yeux.
— Tu dors, demanda Baji en s'accroupissant près de lui.
Kazutora fit non de la tête en silence.
— Ça va, s'inquiéta Baji en fronçant les sourcils. T'es tout pâle et t'as des cernes noires sous les yeux.
Kazutora se releva faiblement, le manque de sommeil entraînait une baisse d'énergie considérable, et laissa Baji s'assoir près de lui.
— J'aime bien comment t'es habillé, dit-il simplement.
— T'es sûr que tu te sens bien ?
Kazutora ne répondit rien et enfoui ses mains dans ses poches.
Baji était toujours bien habillé, Kazutora le trouvait stylé. Il avait la même façon de s'habiller que ce chanteur de k-pop. Il était mondialement connu, mais Kazutora n'avait aucune idée de son nom. En revanche il voyait parfaitement son style vestimentaire, parce que Senju adorait ce chanteur et lui avait montré des photos de lui. Baji s'habillait de la même façon que lui, des bottines noires à lacets, des cargos, des bobs noirs (enfin... il n'en avait presque plus étant donné que Chifuyu les lui volait tous). Ouais... Baji était stylé, Kazutora ne ressemblait à rien à côté de lui.
Kazutora ne s'habillait qu'avec des vêtements bien trop grands pour lui, ses manches tombaient toujours sur ses mains, et le bas de son pantalon sur le haut des plateformes de ses chaussure. Ce n'était pas qu'il n'avait pas d'argent pour s'acheter des vêtements à sa taille, mais Kazutora détestait qu'on voit les formes de son corps. Il mettait des vêtements moulants, mais seulement en-dessous de ses pulls ou t-shirt. D'ailleurs, il couvrait toujours ses bras et ses mains par ses manches, et ses chevilles par ses pantalon long, des collant ou des chaussettes. Il n'aimait vraiment pas qu'on voit son corps. Emma s'était déjà moquée de lui en disant que s'il pouvait faire disparaître son visage il le ferait. Elle n'avait peut-être pas tort après tout...
— T'as répondu à aucun de mes messages de tout le week-end, qu'est-ce qu'il se passe, dit Baji en lui secouant l'épaule pour le faire réagir.
— J'avais beaucoup de travail, inventa machinalement Kazutora.
— Du travail pour quoi ?
— Pour les cours.
— ... On a un contrôle, s'écria Baji avec horreur.
Kazutora haussa les épaules. Il n'avait pas du tout toucher à ses cours, il ne notait pas les devoirs que lui donnaient ses professeurs. Il n'avait même pas d'agenda. Il était en plein décrochage à vrai dire, le jeune homme était incapable de se concentrer sur ses cours depuis deux semaines, ce qui n'avait fait que l'angoisser.
Kazutora cligna des yeux, il fallait qu'il ait l'air normal, Baji et ses amis ne devait pas savoir qu'il s'effondrait de nouveau. Les connaissant, ils allaient se mettre à paniquer et ils rateraient leurs examens. Le jeune homme avait peut-être l'impression de mourir à nouveau, de se faire aspirer par le vide qui l'étouffait depuis des années, mais ce n'était pas une raison pour entraîner ses amis avec lui.
— Bon Kazu si tu me dis rien, j'appelle ton foyer et je-
— LES GARS, cria quelqu'un en face d'eux.
Kazutora et Baji sursautèrent et virent Mikey foncer vers eux à toute allure vers eux, une sucette dans la bouche. Et derrière lui, Chifuyu avançait plus lentement, sûrement encore à moitié-endormi.
— ON A CONTRÔLE LÀ !
— QUOI ?!
— Arrêtez de crier, supplia Chifuyu en arrivant à son tour.
— On a un contrôle, dit Kazutora avec indifférence.
— Mais oui ! Vous avez révisé, demanda précipitamment Mikey.
— Ben non, s'exclama Baji avec horreur.
— Je t'ai fait réviser ce week-end, rappela Chifuyu.
— Je me souviens pas, dit Baji en fronçant les sourcils.
— Pourtant je t'ai vraiment fait réviser.
— Vas-y je devais pas t'écouter...
— T'as une drôle de façon de le faire réviser, dit Mikey d'un ton suspicieux. Moi je me souviens avoir entendu le lit de Baji craquer tout le week-end. Je pense qu'il a passé plus de temps à réviser ton anatomie que le contrôle d'aujourd'hui.
Chifuyu se laissa tomber près de son petit ami et haussa les épaules.
— Fallait bien qu'il se détende.
— Ouais j'avais besoin de me détendre, répéta Baji en hochant la tête.
Kazutora sourit légèrement en l'entendant. Visiblement il s'était un peu trop détendu, voir Chifuyu trop longtemps était vraiment nocif pour ses études. Mais il n'avait rien à dire, le jeune homme n'avait pas ouvert le moindre cahier du week-end.
— Kazu t'as pas froid, demanda Chifuyu en se penchant vers lui.
Kazutora ne sentait plus son corps, les griffes du vent glacial l'avaient tant lacérés que ses sens avaient disparus. Il était endolori et engourdi, bouger lui donnait l'impression de se trouver dans un corps qui ne lui appartenait pas.
— Si un peu, dit le jeune homme. Pourquoi ?
— Parce que t'as juste un pull, avec un col roulé mais c'est rien du tout. Alors que moi j'ai genre, un legging, un pantalon, une chemise, un pull et un manteau, et je tremble plus que toi, dit Chifuyu avec incrédulité.
— T'as autant de vêtements sur toi là, dit Mikey avec surprise. Je suis en survêtement de sport, et j'ai juste un legging sous mon short moi.
— Vas-y... j'ai trop de couches de vêtements moi, se plaignit Chifuyu.
— Ah ben c'est pour ça que tu ressembles à rien aujourd'hui, lança Baji d'un ton moqueur.
— C'est tes vêtements je te signale.
— Je rigole, t'es magnifique mon amour.
— Pfff, et dire que j'ai passé mon week-end avec toi... Je le referais plus jamais, dit Chifuyu d'un air vexé.
— Ça va Kazu, demanda soudainement Mikey. C'est quoi cette tête ?
— Mais oui ça va, pourquoi vous me demandez tous ça, s'énerva Kazutora.
— Parce que t'as l'air mort là. T'as pas vu Senju ce week-end ou quoi ?
Le jeune homme mordit l'intérieur de sa joue et sentit son cœur se serrer douloureusement dans sa poitrine. Il déglutit difficilement, en ayant l'impression qu'une pierre bloquait le passage dans sa bouche, et se leva en attrapant son sac.
— Je vais en cours, dit-il simplement.
Kazutora ne laissa pas ses amis lui répondre et disparut à l'intérieur dans la foule des étudiants, avant d'entrer rapidement dans le bâtiment de l'université. Ses amis commençaient à se douter de quelque chose, Kazutora allait devoir les éviter le temps de pouvoir retrouver le masque d'impassibilité qu'il portait autrefois. La journée allait être longue...
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L'odeur de l'amortentia
FanfictionEt l'odeur de l'amortentia, douce et sucrée, acide et salée, amer et corsée, glisse dans les rues de Tokyo, embaume les cœurs et enivre les esprits. L'histoire ne pouvait pas s'arrêter au café du Toman, la ville est trop grande pour connaître toutes...