Tout était silencieux dans la chambre à coucher.
La servante était venue éteindre les chandelles depuis un certain temps déjà, minutes qui avaient semblé être de bien longues heures pour le petit garçon emmitouflé sous ses couvertures. Jamais la neige ne venait véritablement recouvrir le domaine qui l'avait vu naître, mais ce n'était pas pour autant que le froid se privait de mordre le bout de ses orteils agités.
Sans parler des fantômes prêts à venir lui rendre visite dès la nuit tombée.
Heureusement que le maître des lieux était venu le rejoindre comme il le faisait tous les soirs lorsqu'il était parmi eux. Ces instants précieux étaient le moment que le petit garçon attendait avec le plus d'impatience, angoissé par la lumière qui disparaissait au profit des ombres.
Il aurait bien sûr aimé que son père lui raconte des histoires tout droit sorties de l'âge des Limbes, celui des héros dont les prouesses avaient donné aux hommes les pouvoirs qu'ils maîtrisaient aujourd'hui. Si le garçon savait que tous ces contes existaient, il était aussi certain que jamais l'homme à ses côtés ne les lui raconterait.
Ça ne voulait pas dire qu'il n'essayait pas d'en demander.
- Les histoires sont pour les gens simples et les tout petits. Tu n'es ni simple, ni tout petit n'est-ce pas ?
Le garçon secoua vivement la tête non sans se départir d'une lueur d'espoir, les yeux rivés sur l'homme aux cheveux de jais.
Celui-ci finit par décroiser les bras.
- Je peux te raconter la seule histoire qu'il importe de connaître : notre histoire, celle des Dahars. Ceci dit, tu sais comment marche notre monde.
Le garçon se mordit la lèvre : il avait déjà plein de cours d'histoire et c'était à mourir d'ennui. Mais il sentait que son papa était bien plus intéressant que leurs vieux tuteurs croulants, aussi fit-il un effort pour se préparer à leur échange.
- Tout ce qui est pris ? commença la voix grave.
- Doit être rendu, compléta-t-il docile.
Un adage répété tellement de fois qu'il lui donnait presque le tournis.
Son père sembla s'en satisfaire, cherchant un instant ses mots avec le même timbre dans sa voix si basse.
- Il existe un pouvoir infini. Cette force est tout autour de nous : dans l'eau des rivières, dans le cœur de nos gibiers, dans les lignes sur nos mains. Certains l'appellent à tort la Lumière. Sais-tu pourquoi ?
Le blondinet hocha la tête. Il était difficile de ne pas interrompre ce récit pour poser un millier de questions mais il ne voulait pas que son papa prenne la mouche et s'arrête pour de bon, ou pire, qu'il lui fasse son regard noir.
- Parce qu'ils sont sots.
Un "Oh !" compréhensif apparut sur les lèvres du petit garçon.
- On raconte bien des choses à son propos : qu'elle serait l'héritage laissé par des créatures fantastiques qui auraient quitté les rivages du Cíndahar pour ne jamais revenir, des bêtes titanesques dont aucune trace ne subsiste aujourd'hui. Comme si nous avions eu besoin de bienfaiteurs pour nous donner ce que nous avons arraché à cette terre à la force de notre propre labeur.
Le garçon tortilla ses boucles blondes entre ses doigts.
Il y avait, en vérité, toute une légende sur ce qu'on appelait la Lumière, non pas celle des chandelles, mais bien de ce qui était caché dans le ciel et qui décidait de tout. Son précepteur lui avait dit que ce n'était rien d'autre qu'un ramassis de "superstitions bornées" et qu'on pouvait lui couper la langue s'il répétait des "sottises pareilles", mais la cuisinière lui avait par la suite rétorqué que si c'était vraiment un mensonge, alors pourquoi pouvait-on voir la Lumière à travers la myriade de petits trous dans la nuit ? Le petit garçon l'avait trouvée drôlement plus convaincante.
VOUS LISEZ
Sang Perdu
FantasyOn dit qu'une vie peut changer le monde. Une mort peut-elle aussi le détruire ? Dans un monde régi par une énergie capable d'accomplir de puissants exploits, le joug de l'Hégémonie s'étend depuis plusieurs décennies. C'est sur ses territoires ravag...