Sang Perdu

L'Envol

Que ce soit dans les ruelles, dans les masures ou les palais d'or, la fête battait son plein dans la Cité des Dômes.

Il lui semblait qu'il y avait toujours prétexte à fêter à Kobalis, que ses habitants ne souhaitaient rien d'autre que de s'adonner à leur liesse perpétuelle à grand renforts de percussions et d'étoffes tourbillonnantes. Et pouvait-on leur en vouloir ? Quoi de mieux qu'un bon vin et des mets dégoulinants de miel pour tout oublier du conflit qui grondait à leur porte...

Finn admettait sans mal qu'il était difficile de ne pas s'arrêter à chaque étal pour se goinfrer des mets goûteux. Il fallait dire que les marchands savaient y faire, envoyant leurs progénitures tout sourire séduire la foule à l'aide de dégustations alléchantes. L'archer fit néanmoins preuve d'un sang-froid admirable, n'ayant pas envie de se présenter au dirigeant de la Cité avec un mal de ventre capable de le faire vomir à la moindre courbette. Il avait beau être doté d'une foule de qualités, Finn pouvait reconnaître qu'il avait parfois une certaine... affinité avec le désordre.

Mais n'était-ce pas également sa plus grande force ?

Un sourire indulgent aux lèvres, Finn se glissa sans encombre parmi les danseurs et leur suite. Il dévora du regard les acrobates virevolter sur le marbre, leurs écharpes d'ocre et de lumière serpentant sur le ciel clair. Jamais le mauvais temps ne semblait frapper la capitale ardienne, preuve en était les simples toges bouffantes portées par ses habitants en toute circonstance. 

Lui n'avait pas pu s'habituer aux vêtements amples et si peu couvrants. Toute une vie emmitouflé dans le cuir et la laine le faisait se sentir nu comme un ver lorsqu'il s'essayait aux toges si fines. Ainsi se contentait-il des tenues plus sobres des messagers et des marchands, son thobe olive râpant le bout de ses sandales lacées. Sans doute appréciait-il tout particulièrement l'accoutrement grâce aux nombreux rangements disséminés dans les longues manches et le col serré. Que serait-il après tout sans ses nombreux outils ?

Son regard continua de détailler la foule bigarrée le long de la voie nacrée menant au siège Kobalien. A son arrivée, il était resté stupéfait par toute cette palette de couleurs et de bruits qui lui avait été jusqu'alors inconnu, son enfance passée dans les cimes paisibles d'un quotidien perdu dans la brume éternelle. Lorsque ses pas l'avaient conduit jusqu'à la mer pour la première fois...

Quelque chose de vif remua un instant dans son cœur, un tiraillement familier qui gomma un instant les réjouissances environnantes. Est-ce qu'un chagrin cessait un jour d'enfler ?

Vivre, lui intima une voix douce dans ses pensées. Il lui fallait vivre. Même si cela faisait un mal de chien.

L'oud qui faillit le percuter semblait du même avis.

Finn fit un pas sur le côté pour éviter le manche de l'instrument, visiblement bien trop long pour le garçon maigrichon qui l'empoignait maladroitement. Celui-ci, à bout de souffle, leva de grands yeux sombres jusqu'à l'archer.

– Mille excuses, Sidi ! s'exclama-t-il en s'inclinant.

Le jeune homme leva une main pour montrer au petit artiste qu'il n'y avait pas de mal.

Le garçon contempla brièvement son aîné, un éclat incertain dans le regard, avant de se plonger à nouveau dans la foule. Songeur, Finn passa une main le long de son ceinturon. Un sourire naquit à nouveau sur ses lèvres tandis qu'il s'élançait rapidement à la suite du gamin aux doigts agiles.

Il n'avait pas franchement le temps de se coltiner les pickpockets de Rana, le vaste collectif des ruffians de Kobalis, mais la distraction valait le mérite de lui faire faire de l'exercice. Les yeux émeraudes de Finn balayèrent le cortège festif à la recherche du chenapan en question. Il n'avait pas de mal à admettre qu'il tenait tout particulièrement au trésor qu'on venait de lui dérober.