Chapitre 9 - Finn

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Bien souvent, être un Traqueur aidait aussi à savoir lorsque l'on était soi-même pourchassé.

Le coutelas de Finn continua sa découpe dans le bois, masquant avec aisance la tension qui pourrait lui permettre d'enfoncer cette future flèche dans le premier Élytre assez téméraire pour faire un pas de trop dans sa direction.

L'archer s'exhorta au calme. Ce n'était jamais la peur qui l'étreignait dans ces instants précaires, mais bien son instinct le plus basique le reliant aux Sphères. Parmi les arbres et leurs habitants, il n'y avait toujours que deux chemins : reculer ou foncer tête la première. Il avait pourtant dansé dans un entre-deux bien humain ces derniers jours, celui des compromis et de l'apaisement. Celui-qui-était-Keras devait être, après tout, le lien fondateur unissant chaque essaim.

Il y avait une sagesse certaine dans ce que Corvo lui avait appris quelques années auparavant. Les mains du vétéran s'étaient enfoncées dans le sable, et tandis qu'il l'avait fait couler entre ses doigts, il avait posé une de ces questions dont il était si friand : qu'est-ce qu'un désert ? Toujours aussi bravache, Finn avait rétorqué qu'un désert était probablement une absence d'eau, de nourriture, et de toute trace d'amusement.

Un coup de roseau plus tard, l'homme lui avait délivré sa réponse : un désert était créé par l'immensité de ses grains qui, seuls, étaient invisibles. Ces mêmes grains, si légers et différents, pouvaient tour à tour écraser, ensevelir, recouvrir et révéler comme bon leur semblait. Et lorsque certains se trouvaient projetés par le vent ? Alors d'autres prenaient leur place.

De bien grandes phrases pour introduire le fait que Finn devrait rejoindre des poignées d'hommes et de femmes pour les suivre dans des missions aux buts obscurs. Et tout ça sur les ordres de mentors inconnus. Un vétéran ne confiait après tout jamais de quête à un Élytre qu'il avait lui-même entraîné, tout comme il ne recrutait pas celui dont il aurait la charge.

A moins qu'un vétéran lui-même ne vous prenne sous son aile.

Ses pensées filèrent vers Bahil, cet Ardien à qui Finn devait tout et qu'il n'avait jamais pu revoir. Comme il avait ragé de devoir rejoindre l'irascible Corvo dans ces foutues dunes brûlantes, quittant le confort de la hutte au bord de mer dans laquelle il avait guéri une partie de ses plaies et de son coeur.

L'obsession des Élytres pour tout ce qui avait trait au désert et à ses habitants ne s'arrêtait pas à leur nom, qui désignait la partie dure des ailes de scarabée. Ils étaient les remparts de ce qui était fragile et délicat, une coque noire impénétrable tournée vers l'Hégémonie. Chaque rôle endossé parmi cet essaim était inspiré d'un scarabée et exprimait tout ce qu'on attendrait de chacun d'eux.

Finn avait revêtu bien des rôles avant d'en arriver à la Moisson. Simple Staph tout d'abord, petit insecte sans nul autre rôle que de servir ses congénères. Il avait ramassé du bois, curé des sabots, lavé des frusques, récuré (bien trop) de latrines, passé les mots secrets et retenu une personne au moment et à l'endroit précis qu'on lui avait dicté. Peu porté sur la servitude, c'est lors de ses premiers larcins qu'il avait brillé : l'Orphi en lui avait été la main invisible occupée à tourner un panneau dans une direction inverse ou à subtiliser une correspondance cruciale sans jamais faillir. D'Orphi, il était passé Hybas lorsqu'il avait été question d'une échauffourée à la frontière, et cette fois-ci ce n'était pas son agilité qui avait servi mais bien sa prouesse aux armes. A l'inverse de l'armée ardienne ou hégémonique, on ne montait pas en grade chez les Élytres : leur groupe était un cercle dont chaque membre pouvait servir selon le besoin et ses compétences propres. Sans doute y avait-il d'autres rôles cachés parmi les dunes, mais l'archer n'en connaissait qu'une poignée. Jamais Finn ne serait par exemple appelé à être Aphodii, principalement parce que le jour où il avait reçu un ordre de mort scellé de leur sigil, il avait brûlé la plume noire, le poison et la hutte qui allait avec.

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