Chapitre 19 - Kiraz

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Sa main tâtonna autour du rebord de son lit, ne trouvant sous ses doigts qu'une matière chaude et piquante.

Un vague fumet de graisse et d'excréments accueillirent son réveil, odeurs incontournables des écuries dans le petit matin. Plutôt que d'interroger sa présence dans ces lieux, Kiraz lutta pour repousser les fragments de la veille.

Sans succès.

Tu ne vas pas pouvoir lui échapper jusqu'au restant de tes jours.

Kiraz se tourna pour contempler le plafond.

— Il est revenu, Hartland. Il est en vie.

— Allons donc ressortir les banderoles.

Elle pouvait nettement revoir l'air douloureux que le Cavalier affichait dès lors qu'on lui tenait tête. Elle était étonnée de réaliser qu'elle observait avec plaisir les plis de son front se creuser au gré de leurs échanges.

— Ne fais pas ta garce, pas maintenant ! Pas avec lui !

Ses mains remuèrent vainement pour repousser le spectre du brun.

Comme à son habitude, Caleb s'était fourvoyé.

Kiraz songea à se redresser, la voix fluette de Tristana déjà dans son esprit avec des remontrances quant à son retard et son hygiène désastreuse. Elle tapota sans grande conviction sa tunique bleue, pesant le pour et le contre d'un énième partage de baignoire forcé chez son allié de fortune. Tout du moins l'avait-il été pour un temps, avant que son frère ne lui revienne et que tout sentiment d'obligation à son égard s'évapore.

La jeune fille ne sut dire si c'était la honte ou la stupéfaction qui gagnait lorsqu'elle se rendait compte que se quereller avec Caleb était désormais le haut-point de son existence. Elle avait préféré, non, elle s'était accrochée avec ferveur aux moments passés avec... un meurtrier. Sans lui, les jours qui la rapprochaient de la liberté disparaissaient, emportant les traces de Ludvík dans son sillage.

Qu'Eredan revienne d'entre les morts lui était d'autant plus insupportable quand sa douceur habituelle n'était qu'un rappel de tout ce qui ne reviendrait jamais. Tout ce qui était pris le restait, à jamais, n'en déplaise aux Étincelles, au Seigneur Maveth.

Devoir son salut à ceux qui se fichaient de son sort lui donna l'envie coutumière d'hurler.

Ce qu'elle fit.

* *

*

— Reprends ton souffle, glissa-t-il entre deux concerts de rage.

La dernière nuit, l'homme aux yeux clairs était venu avec une boîte en bois sous le bras. Il s'était assis par terre avec grâce, pas un seul flocon de poussière sur son armure lisse, avant de déballer le contenu du coffret : un plateau circulaire et un sac de toile contenant une myriade de pièces rondes.

Il avait placé chaque bille luisante sur les motifs damés avec sa minutie habituelle, avant d'inviter la jeune fille à s'asseoir en face de lui.

Un coup de pied avait suffi pour tout envoyer valser.

Patiemment, Demyan avait récupéré le plateau avant d'en replacer chacune des pièces.

* *

*

Kiraz ne sût dire si elle fût soulagée ou non de ne voir aucun palefrenier attiré par le raffut d'une énième bête blessée.

Des fragments de la Descente se faufilaient de plus en plus souvent jusqu'à elle. Ils allaient et venaient à leur guise, sans réussir à se hisser plus haut que son souci premier.

Sang PerduOù les histoires vivent. Découvrez maintenant