Elle avait survécu aux geôles, à l'hostilité, au labeur brutal.
Il était donc extrêmement vexant que ce soit la garde robe de Tristana Dunstain qui ait raison de son âme.
Kiraz contempla l'amoncellement de dentelle et de satin qui l'entourait, en proie au désarroi le plus total. Les cabrioles, l'algèbre, l'esbroufe... Tout cela n'était pas de taille à affronter les défis des Dunstain et de leur demeure étouffante.
Kiraz lança l'étoffe maudite plus loin, ce qui n'eut pour effet que de la faire balloter lentement dans les airs jusqu'à ses pieds. Encore quelque chose d'important qui faisait défaut à la Marquée, à l'Éteinte. Ses yeux se promenèrent sur les parures de soie frappées du blason cuivré des Dunstain, avant de revenir sur ses propres mains.
— Tu as terminé ?
Kiraz se releva d'un bond.
Les yeux ronds, la jeune héritière fixa la servante de ses longs cils, la bouche entrouverte de celle-ci lui conférant un air niais malgré la prestance que sa longue robe ensoleillée aurait pu lui donner.
Kiraz se força à détendre ses muscles crispés. Il y avait peu de chance qu'on la batte dans la demeure abritant la Maison de la salamandre, ce qui parfois la chagrinait un peu. Elle n'avait jamais eu aussi cruellement conscience de la facilité avec laquelle elle avait pu régler ses problèmes à l'aide d'un aboiement ou d'un coup de poing bien placé. D'autant plus qu'une raclée était parfois plus souhaitable que l'effroyable échange de faux-semblants auquel les Étincelles se livraient constamment.
— Je venais également te voir pour qu'on s'occupe de ta... chevelure.
Il allait sans dire que la façon avec laquelle Tristana avait buté sur ce dernier mot en disait long sur ce qu'elle pensait de ladite chevelure de sa nouvelle servante.
Arrêtez de me gonfler avec ma tignasse ! se retint-elle d'exploser. C'étaient ses cheveux, après tout, non ? Elle n'embêtait personne avec ses tresses et ses rubans, aussi ne voyait-elle pas pourquoi on venait l'importuner de la sorte. Elle n'y pouvait rien si quelqu'un avait un jour décrété que la forme, la longueur, l'épaisseur et le nombre de cheveux d'un Dahar devaient refléter son rang au sein de l'Hégémonie. Comme si elle n'avait que ça à faire, de se plaquer une coiffe débile sur le crâne tous les matins pour ne pas offusquer l'assemblée. Qu'est-ce que ça pouvait leur faire à tous si elle avait encore des tresses que plus personne ne lui referait le soir, peu importe qu'ils se soient disputés toute la journée ? Si on les lui coupait, qu'est-ce qu'on couperait d'autre ?
Et quand il n'y aurait plus rien ?
— Je... ne voulais pas t'offusquer, ajouta l'étincelle prudemment.
Kiraz prit vaguement conscience de la tête qu'elle devait afficher devant la Dame et baissa le regard. Péniblement, elle rangea sa rancœur dans sa boîte. Tristana n'y était pour rien et, au plus grand dam de sa nouvelle servante, elle essayait plus ou moins d'aider. A bien des égards, Tristana incarnait l'adage "L'Abysse est pavée de bonnes intentions" à la perfection. Ce n'était pas comme la ferveur attachante de feu Eredan, mais plutôt une sorte de cadeau empoisonné qui finissait toujours par sauter à la figure de la malheureuse servante que l'héritière semblait vouloir intégrer à sa suite.
L'étincelle s'était donné comme mission d'accueillir la nouvelle recrue avec un enthousiasme si grand qu'il sonnait parfois un peu faux : Kiraz connaissait pertinemment la raison de son arrivée, pour autant elle s'était heurtée à la difficulté de son rôle. Demyan n'avait livré aucun détail concernant Maître Dunstain, qui se faisait aussi rare que sa fille était présente.
VOUS LISEZ
Sang Perdu
FantasyOn dit qu'une vie peut changer le monde. Une mort peut-elle aussi le détruire ? Dans un monde régi par une énergie capable d'accomplir de puissants exploits, le joug de l'Hégémonie s'étend depuis plusieurs décennies. C'est sur ses territoires ravag...