Chapitre 17 - Finn

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Tête la première, Finn se laissa emporter par le fond.

Le jeune insurgé savoura la pression du cours d'eau sur ses muscles endoloris, laissant passer de temps à autre une bulle d'air pour maintenir sa respiration. Les étroites cabines du Nochero avaient beau être confortables, son grand plongeon l'avait laissé perclus de douleur.

Les orteils de l'archer s'accrochèrent à la vase pour se maintenir sous les flots, profitant de la chaleur relative de cette fin de matinée automnale. L'eau, même si elle prenait sa source dans le monde naturel, lui était aussi inaccessible qu'une outre en terre cuite. Cela lui permettait de se couper, ne serait-ce qu'un instant, de la brume entêtante des Sphères. La sensation pouvait être inconfortable, pour ne pas dire franchement terrifiante : enfant, son père avait guetté les prouesses de sa Sève avant de le balancer sans ménagement dans les torrents glacés d'Irvall. La sensation de vide avait été telle qu'il s'était cru propulsé tout droit jusqu'à l'Abysse. Autant dire que Finn avait attendu d'atteindre le rebord pour se joindre aux rires des autres Ikenis...

Les coteaux rocailleux, la brume éternelle, les forêts d'émeraude et d'améthyste. Les chants autour du feu, les éclats de voix jusque tard dans la nuit étoilée.

Vis mon fils, mon amour. Vis.

Ses yeux se refermèrent sous l'eau glacée.

Le jeune homme finit par remonter à la surface, clignant plusieurs fois des yeux pour retrouver les longs contours du Nochero. La barge était capable de s'approcher au plus près des rives de leur dernière escale : Etinciel, grand lac brillant où les marchands pouvaient se faufiler avant de rejoindre les quais de l'avant-poste menant à Stelaï. La ville elle-même n'avait aucun accès fluvial du haut de son promontoire, ce qui convenait très bien à l'Élytre qui se retrouverait assez occupé à jouer à cache-cache au milieu des Dahars sans avoir à rester coupé de son Don.

Il repéra deux membres d'équipage le long de la rambarde en train de l'observer s'ébrouer sous le soleil. Elles lui firent aussitôt de grands gestes pour l'inviter à les rejoindre, leurs vêtements amples s'agitant sous son regard rieur. Les invectives qu'elles lui lancèrent revêtait l'accent chantant d'Eiquiza : il capta quelques brides enjôleuses, et ses lèvres s'étirèrent lorsqu'il en comprit la teneur. Il n'allait après tout pas prétendre que leurs éloges racoleuses ne le flattaient pas après de longues semaines à ramper dans la boue.

Finn leur dédia son plus grand sourire et s'inclina dans leur direction, déclenchant aussitôt une salve de sifflements tandis que les navigatrices se dispersaient sur le ponton. Le son de leur amusement lui rappela l'intrépide Capitán, dont la plume du chapeau bariolée flottait non-loin. Quelques brasses lui suffirent pour la rejoindre, et d'une traction de bras l'Élytre se hissa à bord de la barge.

La meneuse du Nochero consultait de longs rouleaux de cuir sur lesquels étaient inscrits de nombreux itinéraires sinueux. Elle avait essayé, tant bien que mal, de lui expliquer les tenants et aboutissants de la navigation à Kobalis, avant de le prendre en grippe lorsqu'il lui avait lancé que ça ne devait pas être bien compliqué de voguer dans un seul sens.

Finn secoua sa tignasse en s'approchant d'Eileen, dont le nez en trompette ne daigna pas se lever pour lui. Elle était fière, sa Eileen, et à raison : qui pouvait bien se targuer, à seulement dix-neuf ans, de commander l'une des rares barges autorisées à passer entre l'Arda et l'Hégémonie ? Encore plus quand on savait tout ce qui avait précédé.

Les yeux noisettes de la capitaine se déposèrent enfin sur l'archer. Son regard lui avait toujours évoqué celui d'un chat espiègle sur le point de se rassasier. Il avait passé de nombreuses matinées à l'observer tracer un trait de khôl au-dessus de ses paupières, fasciné par la délicatesse de ses mains pourtant habituées à tenir la barre d'une poigne de fer. La présence de l'eiquizienne était l'une des rares choses qu'il se prenait à regretter de ses années dans les bas-fonds de Kobalis.

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