Sans oser y croire, Caleb apprenait le sens d'un nouveau mot : paix.Les crises s'étaient espacées et, chaque jour, ce constat le rendait toujours un peu plus muet de stupeur. Après des cycles à se réveiller tous les matins, la trouille au ventre de voir son pouvoir le dépasser, l'angoisse avait fini par se tarir jusqu'à devenir cendre. Une nouvelle braise pouvait repartir à tout moment, mais, pour l'instant, aucune flamme ne semblait décider à ressurgir pour le consumer.
Au moins, Caleb n'avait plus à s'embarrasser de cet horrible remède dont la fiole venait habituellement taper contre sa jambe. Si Maveth venait à découvrir qu'il n'avait plus sur lui la seule chose qui lui permettait de garder un tant soit peu le contrôle lors d'une de ses crises, il lui grefferait le flacon à la peau. Caleb avait donc pris tout naturellement la décision de la laisser, une heure auparavant, à la vue de tous dans sa chambre.
Un sourire fugace s'immisça sur ses lèvres. Combien de temps se passerait-il avant que son père ne soit averti ? Leurs entretiens étaient bien loin de lui manquer, il s'agissait même d'une véritable délivrance depuis que ce dernier avait laissé son éducation d'Aspirant à un autre. Cependant, il éprouvait un plaisir malsain rien qu'à imaginer son paternel apprendre que ses crises avaient cessé depuis que Kaedwin l'avait pris sous son aile. Son rival avait réussi là où, lui, son père, avait échoué.
Cette nouveauté bienvenue dans son quotidien n'avait rien de si surprenant. L'Aspect du Cœur et celui de l'Esprit avaient toujours été proches. Les plus grands Initiés du Coeur pouvaient falsifier les émotions et ceux de l'Esprit s'insinuer perfidement dans votre tête. Le résultat restait pour autant le même : la cible devenait une poupée malléable aux mains de l'Étincelle qui usait de son pouvoir.
Utiliser avec parcimonie son don pour anticiper, lors d'un duel, les actions de son adversaire et ainsi prétendre qu'il était un excellent combattant avaient toujours été d'une facilité enfantine. Une manière mesurée de le laisser filer malgré tout. Une belle connerie. Ainsi muselé, son pouvoir de l'Esprit, impatient d'en découdre, n'avait fait que croître et lui échapper. Désormais déguisé sous un tout autre rôle, celui du Coeur, Caleb lui laissait plus facilement de place même si cela lui demandait un plus grand effort de concentration et de réflexion.
Comme aujourd'hui.
— Tu es anxieux, constata Kaedwin qui l'observait depuis plusieurs minutes.
Sa mâchoire se contracta.
Sans rire.
N'y avait-il vraiment que lui ici à être choqué par la situation ? Était-il le seul à avoir un tant soit peu de bon sens ou s'étaient-ils tous pris un bon coup sur la tête à leur réveil ?
Que Tristana se mêle un peu de ses miches et cesse de vouloir jouer au cobaye pour il-ne-savait-quelle-obscure-raison ! Leur relation était déjà assez complexe comme ça sans qu'elle vienne y ajouter son grain de sel.
— Je ne pense pas que ça soit une bonne idée, lâcha-t-il la mine sombre et les bras obstinément croisés avant de vaciller sous la énième bourrade amicale qui heurta soudainement son dos.
A force de se faire martyriser par la sympathie de Kaedwin, ses muscles dorsaux avaient fini par gagner en vigueur. Il en allait de même pour sa patience. L'envie d'envoyer valser l'homme à l'autre bout de la pièce ne l'effleurait désormais qu'à peine.
— Votre union n'est pas pour demain, s'esclaffa Kaedwin. Rien ne t'interdit d'exercer ton pouvoir sur Tristana.
Hormis d'avoir une morale ? pensa-t-il d'humeur encore plus morose.
— Je veux me rendre utile As... Caleb, rajouta Tristana assise, comme toujours, dans son éternel fauteuil, une horreur rose au tissu probablement délavé depuis bien avant leur naissance.
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Sang Perdu
FantasyOn dit qu'une vie peut changer le monde. Une mort peut-elle aussi le détruire ? Dans un monde régi par une énergie capable d'accomplir de puissants exploits, le joug de l'Hégémonie s'étend depuis plusieurs décennies. C'est sur ses territoires ravag...