Sang Perdu

Chapitre 12 - Caleb

Le liquide noirâtre de sa tasse lui inspirait autant de confiance qu'un Elytre.

Les thés le répugnaient au plus haut point. L'effluve qui s'en dégageait retroussait ses narines de dégoût. Sans parler de cette couleur suspecte qui pouvait dissimuler une liste interminable de poisons...

Le succès de ce sinistre breuvage demeurait une véritable énigme pour Caleb. Comment ses adorateurs pouvaient-ils oublier qu'il ne s'agissait que d'eau chaude dans laquelle trempaient diverses plantes souillées par des chausses ou des animaux ? Que l'Arda ait cessé de leur en vendre avait été d'un grand soulagement, jusqu'à ce que l'Hégémonie improvise des variantes plus terribles encore.

Mais, aussi grand que pouvait être son écoeurement, le choix d'en boire ou non aujourd'hui ne lui appartenait pas. Au moins se consolait-il à la pensée que, peut-être, le goût douteux lui permettrait de songer à autre chose qu'à la situation embarrassante dans laquelle il se trouvait pour l'instant.

Assise sur un fauteuil face à lui, Tristana Dunstain ne cessait de le dévisager de ses immenses yeux verts. Ou étaient-ils marrons ? A force de battre des cils, il était difficile d'en discerner la couleur exacte.

Quelques minutes venaient seulement de s'écouler depuis son arrivée, et il lui avait semblé que la jeune fille avait péniblement tenté de prendre la parole au moins une bonne dizaine de fois en ouvrant la bouche ou en esquissant un geste vers lui, avant de s'empresser de cacher sa vaine tentative par une nouvelle gorgée de thé.

Caleb n'était pas contre faire des efforts. Sa présence même en ces lieux était déjà le plus grand de tous. Mais si on attendait de sa part une quelconque conversation mondaine sans intérêt, autant qu'il s'empoisonne sur le champ avec ce maudit breuvage.

S'il avait voulu être complètement honnête avec lui-même, Caleb savait que l'agacement qu'il éprouvait pour la Dunstain ne méritait pas un tel dédain de sa part. Sauf qu'entre se laisser happer dans le gouffre béant qui le guettait et les balbutiements exaspérants de la jeune fille, son choix était tout fait.

- Le thé est-il à votre goût, Aspirant ? demanda-t-elle enfin d'une petite voix au moment où il porta le dit breuvage à ses lèvres.

Par l'Abysse, que l'après-midi allait être long...

Qu'était-il censé répondre à une question aussi vide d'intérêt ? "Se faire écraser par un Drazard serait plus enviable." Tentant mais inapproprié en pareille situation. Quant au mensonge, il y en avait assez dans leur quotidien pour qu'il lui épargne cette peine.

- Aussi appréciable que cette rencontre.

Comme il l'avait escompté, le sarcasme de ses paroles ne toucha pas sa cible. Tristana sembla même, au contraire, se satisfaire de sa réponse. Il éprouva une culpabilité passagère.

- Pour toi, c'est juste Caleb, se força-t-il à rajouter en s'enfonçant un peu plus dans l'assise à la recherche d'une position plus confortable, et par pitié ne me vouvoie pas.

Le sourire timide de la concernée disparut aussitôt et ses joues se tintèrent d'un rouge si cramoisi qu'il crut un instant que sa théorie des poisons se vérifiait enfin.

Il ne s'en alarma pas.

Si côtoyer Tristana lors de bals et autres festivités du Roc lui avait appris une chose c'est qu'elle n'était rien d'autre qu'une gamine de bonne famille facilement impressionnable. La suite serait toute aussi prévisible : elle se confondrait en ce qui ressemblerait en de plates excuses pour des propos qui n'en demandaient aucunes.

Par chance, ils n'eurent pas à subir une telle scène embarrassante.

-Maître Dunstain, salua-t-il Kaedwin en se relevant précipitamment à l'entrée salutaire du Maître du Coeur, le dos droit et le poing sur la poitrine.