Chapitre 18 - Eredan

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De son départ de la capitale, couvert de honte, en passant par les chemins cahoteux de la Moisson, plein d'espoir, jusqu'aux ballottements de la barge d'Eileen, pétri d'anxiété, de multiples scénarios triomphants avaient traversé l'esprit d'Eredan quant à son retour à Stelaï.

D'abord, fièrement monté sur Arkaya, une cohorte de Potentiels à sa suite. Le plus probable.

Puis, rescapé d'une tentative d'enlèvement auquel il aurait réchappé la première nuit. Le plus inattendu.

Enfin, sous l'état de loque misérable, otage secouru par la puissance de la Maison Encaraï, le plus inavouable.

Aucun de ces fantasmes éveillés n'aurait pu anticiper ce retour fait sur l'épaule carrée d'un rustre de soldat.

Tout avait pourtant bien commencé. Mettant de côté l'angoisse grandissante qui lui avait broyé les entrailles à chaque pas le rapprochant du Roc, Eredan avait avancé à son rythme, avec lenteur et précaution, en essayant de se convaincre que tout irait bien. Si près du but, il aurait été fâcheux de s'encrasser dans la boue des voies car il n'avait pas su mettre un pied devant l'autre... Pour ce qu'il en restait.

Il avait pensé s'en sortir avec les honneurs quand son escorte avait fini par perdre patience.

Un instant, il extirpait une de ses béquilles qui s'était embourbée une fois de trop, la seconde suivante, il se retrouvait tête en bas avec pour seule vision le postérieur du soldat. Il s'était aussitôt débattu sous le rire à peine dissimulé de ce dernier, avant de finalement reconnaître sa misérable défaite. Qu'est-ce qu'un jeune gringalet comme lui pouvait bien contre les muscles saillants de tels bras ?

A présent, il se sentait soudainement plus proche du vulgaire sac de pommes de terre que du noble novice...

— Tout le monde nous observe, fit remarquer Eredan les joues brûlantes de honte en essayant tant bien que mal de ne pas croiser les regards curieux de certains badauds. Il avait aperçu un enfant le montrer du doigt quelques instants plus tôt.

— Tu pensais franchement qu'un gamin avec une guibole en moins accompagné d'un bellâtre comme moi passeraient inaperçus ?

— Être porté en trophée de chasse attire forcément un peu plus l'attention.

Un nouveau rire secoua l'inconnu.

— Vu la somme colossale qu'Encaraï a mis sur le tapis pour retrouver son avorton, je ne vois pas de métaphore plus adaptée. Je ne vais pas laisser un tel prix me filer entre les doigts.

Il souligna sa remarque en lui tapotant la cuisse gauche.

Ce fut la remarque plus que le geste déplacé qui fit tiquer le jeune novice. Son père avait bien tenté de le retrouver, même si pour cela il avait fait miroiter une récompense en pièces sonnantes et trébuchantes pour la personne qui mettrait la main sur lui. Eredan ne sut s'il devait se sentir flatté ou complètement aplati d'une telle offre. Cela dépendrait sûrement du prix.

— Vous pouvez me reposer, je suis incapable de courir de toute façon... et puis je n'ai aucune raison de fuir : vous me ramenez en sécurité auprès de ma famille, non ?

Il était difficile de se concentrer et de former une phrase cohérente alors que le monde autour de lui était sans dessus dessous.

Le soldat s'esclaffa si fort qu'il crut voir le sol se rapprocher dangereusement de son visage. N'importe quelle promenade à dos de drazard était moins périlleuse que d'être porté par cet énergumène au nom inconnu.

— Pour que tu t'écharpes sur les pavés et qu'on me retire la moitié de la somme promise ? A d'autres ! Déjà qu'il te manque un morceau, le seigneur va très certainement en profiter pour me soustraire quelques pièces. Il faut que ma marchandise arrive la plus indemne possible si je veux espérer toucher la plus grande totalité.

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