Tout était chaos.
La Citadelle, le Roc, Stelaï toute entière était un maelstrom qui menaçait de le happer. Même sa famille était un chaos qui lui était propre, une lame douloureuse de non-dits coincée entre ses côtes. A l'inverse, se battre avait toujours eu un sens à ses yeux : une architecture de coups et de feintes, ses bottes sur la terre battue et l'estoc pour seul compagnon.
Pourtant, cela aussi lui avait été enlevé.
Même si parfois un combat lui avait paru plié d'avance, Caleb n'avait jamais rechigné à se mouvoir entre les pierres. Faire croire à son adversaire qu'il avait une chance n'avait jamais été de l'arrogance de sa part, bien au contraire, c'était lui laisser la possibilité de tomber avec honneur. A présent sa hargne n'était plus.
Ses derniers entraînements n'étaient devenus qu'un pâle reflet de ses prouesses tandis que ses compagnons d'armes prenaient un plaisir certain à mettre, après tant d'années, le redoutable Caleb Encaraï à terre. C'était un jeu auquel il s'était pourtant déjà adonné avec eux par le passé, dans une autre vie où il avait dû devenir invisible.
Celui qui est fort n'a pas besoin de le montrer.
Combien de temps avait-il tenu à l'époque avant d'en avoir assez d'être celui à qui on faisait mordre la poussière ? Celui dont on moquait les aptitudes à peine correctes alors qu'il aurait dû briller de par son sang ? Quelques mois peut-être... Quelle tête ils avaient fait lorsqu'il en avait eu assez de se cacher lors du serment des Novices ! Un à un, consciencieusement, il les avait tous fait courber l'échine.
Une bien douce contrepartie comparée au reste.
Et maintenant qu'il les laissait reprendre le dessus, ils en oubliaient toute prudence et se félicitaient à coup de grandes tapes dans le dos d'avoir enfin pris leur revanche sur leur fierté blessée.
Imbéciles.
Quand il se lasserait de tomber, les mêmes reviendraient le supplier de les ménager. Ainsi allait son quotidien depuis des années.
- Lève ton épée mieux que ça.
Le jeune homme s'exécuta sur-le-champ avant que l'arme de son adversaire ne heurte la sienne. Un geste plus tard et ce fut terminé pour Mila dont les yeux sombres jetèrent des éclairs sur le fil plaqué contre sa gorge. Le hasard l'avait choisie pour qu'elle soit celle qui perde aujourd'hui, au moment exact où il avait perçu la patience du maître d'armes s'étioler à son propos.
Il aurait menti s'il avait prétendu qu'il ne ressentait pas une pointe de satisfaction chaque fois qu'il triomphait face à l'Aspirante. Il n'éprouvait aucune haine particulière pour Mila, si ce n'est qu'elle était la pupille de son père et que la côtoyer ramenait invariablement ses pensées jusqu'à lui, chose dont il se passait à merveille. Caleb songeait parfois à la décision d'accepter la jeune fille comme pupille, la première à être prise sous l'aile du Maître intransigeant depuis... toujours ? Peut-être pour montrer à Caleb qu'il était loin d'être indispensable aux yeux de son père.
Comme s'il avait besoin d'un quelconque rappel.
Il y avait une réponse raisonnable, bien entendu. Leur Maison était forte, mais elle était aussi la plus petite avec Maveth, son frère et lui-même pour seuls représentants. Son seigneur leur avait déjà détaillé la manière avec laquelle un rival un peu trop ambitieux pouvait s'y prendre pour les assassiner tous les trois d'un revers de main.
Était-il pour autant obligé d'adopter ?
Il était simplement trop étrange pour Caleb de se voir affubler du jour au lendemain d'une "sœur" dont il ne savait rien et qu'il n'avait aucune envie de connaître. On ne créait pas des liens aussi forts simplement parce qu'on décidait d'ajouter une personne à leur vie qui n'avait jusque-là jamais existé. Il savait bien sûr que beaucoup de Maisons acceptaient certains pupilles dans leurs rangs pour accroître leur puissance, mais il n'avait jusque là pas été impressionné par les capacités de l'Eiquizienne. La seule chose qu'elle partageait avec Maveth en plus du même regard froid, c'était le contrôle des esprits. Qu'était-elle déjà, une Questeuse bonne à extraire les informations des malheureux assez fous pour cacher des secrets à l'Hégémonie ? Caleb pouvait sûrement en faire de même sans avoir à s'immiscer dans leurs esprits.
VOUS LISEZ
Sang Perdu
FantasyOn dit qu'une vie peut changer le monde. Une mort peut-elle aussi le détruire ? Dans un monde régi par une énergie capable d'accomplir de puissants exploits, le joug de l'Hégémonie s'étend depuis plusieurs décennies. C'est sur ses territoires ravag...