Chapitre 1

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Isan était en poste sur les remparts, où l'armée lochkovite essayait de contenir l'assaut de l'armée aravallie au milieu de cette nuit surnaturelle. Le soleil ne s'était pas levé ce jour-là, mais la soldate avait d'autres préoccupations. On lui avait confié le commandement d'un petit groupe d'une dizaine de personnes, constitué de quelques soldats et d'habitants fraîchement enrôlés. Elle essayait de brailler de manière suffisamment autoritaire pour que ses hommes s'activent. Sans elle pour leur donner des ordres, ils seraient pétrifiés de terreur comme une grande partie des jeunes Lochkovites présents dans son coin des remparts.

Isan essayait de ne pas penser à ce qui se passait à l'intérieur de la ville, dans les rues. Des affrontements avaient éclaté un peu partout. D'après ce qu'elle avait brièvement entendu, l'armée de Terregrise était entrée dans la ville sans avoir à ouvrir un passage et se diffusait dans les rues, ce qui signifiait que quelqu'un à Lochkov avait trahi. Aravalli s'attaquait aux remparts, occupant ainsi une grosse partie des forces lochkovites. Les deux armées avaient dû choisir de se séparer selon leurs points forts pour diviser les forces défensives de la ville. Terregrise devait certainement être très efficace pour les escarmouches et combats de rue, car Aravalli semblait plus que compétente pour l'assaut des remparts. De tous les côtés se dressaient des échelles, et de nombreuses tours fortifiées mobiles évoluaient sur le terrain. De lourds béliers fortifiés avaient réussi à s'approcher et heurtaient les remparts par endroits, provoquant un fracas assourdissant et terrifiant.
Les Aravallis étaient très nombreux et s'étaient donnés des moyens démesurés en termes de matériel pour cet assaut. En un temps record depuis leur arrivée, ils avaient réussi à construire ces engins de siège et creuser de larges tranchées protégées pour le déplacement massif des troupes et du matériel vers les zones de combat. Au fil des escarmouches et affrontements, ils avaient lentement mais inexorablement grignoté le terrain les rapprochant des remparts. Lochkov avait fait tout ce qu'elle avait pu pour les empêcher d'arriver jusqu'aux remparts, mais petit à petit, l'ennemi était arrivé aux portes et la violence se déchaînait de partout.

Les remparts étaient attaqués de tous les côtés et les soldats adverses étaient terrifiants, aussi disciplinés que brutaux. Leurs armures et uniformes avaient une apparence sinistre et imposante, avec des couleurs sombres les rendant difficilement visibles dans la nuit. Ils portaient des casques très couvrants et de la peinture sombre sur le visage, ce qui leur donnait un aspect inhumain. Et ils semblaient tellement nombreux. Les Lochkovites s'activaient pour repousser au mieux ces attaques qui semblaient venir de partout. De longues perches pour repousser les échelles. Des projectiles enflammés pour les tours et béliers, qui ne fonctionnaient pas très bien car les Aravallis avaient apparemment recouvert leurs structures de peaux mouillées pour éviter que le feu ne se propage. De lourds blocs lâchés sur les soldats et béliers en contrebas. Et toujours les arbalestriers qui essayaient d'abattre le maximum d'ennemis. Ces derniers avaient également placé des arbalètes dans leurs tours fortifiées et, même s'ils étaient moins nombreux, les tireurs étaient bons et faisaient de nombreux dégâts dans les effectifs lochkovites.

Isan se concentrait avec son petit groupe dans la zone qui lui avait été assignée, certains de ses hommes occupés à tenter de repousser des échelles tandis que les autres les couvraient avec leurs tirs d'arbalète. Lorsque le premier coup de bélier retentit et que les vibrations se diffusèrent sous leurs pieds, tous les hommes présents sur les remparts eurent une seconde d'arrêt, comme si le coeur de l'armée tout entière avait raté quelques battements. Un silence survola les hommes. Tout le monde regardait dans la direction d'où provenait le bruit, une expression de terreur interloquée sur le visage. Ce moment suspendu ne dura pas car Aravalli continuait de s'activer et que les soldats les plus expérimentés se reprirent rapidement. Il devint très difficile de conserver un respect de la chaîne de commandement dès ce moment, car la plupart des hommes étaient au bord de la panique. Entre ceux qui n'écoutaient pas, ceux qui essayaient de fuir et ceux qui faisaient n'importe quoi, les quelques gradés qui tentaient de garder le contrôle sur la situation ne faisaient que s'égosiller dans le vide.

A la tête d'un contingent de petite taille, Isan avait réussi à maintenir le contrôle sur ses hommes et les dirigea immédiatement vers la position où le bélier avait frappé pour la première fois. C'était l'objectif prioritaire. Les remparts devaient tenir. La soldate n'avait plus le loisir de réfléchir à la pertinence de cette affirmation au vu de la présence de Terregrise dans les rues. Il fallait que les remparts tiennent. C'était leur ligne de vie. Une importante quantité de soldats s'étaient massés pour essayer de mettre ce bélier hors d'état de nuire. Isan se demandait ce qu'elle pourrait faire pour participer lorsque les bruits d'impact d'un autre bélier se firent entendre. Il n'y eut pas de moment de flottement à ce moment, mais le niveau de panique monta d'un cran. Ces remparts puaient la peur. Tout le monde était terrifié et s'agitait de manière désespérée. La cruauté des traits ennemis participaient à cette peur : les carreaux volaient tout autours d'eux et nombreux étaient ceux qui faisaient mouche. Les hommes s'écroulaient, laissant leurs voisins restés debout en état de choc. Isan elle-même vit quelques-uns de ses hommes mourir en un battement de cil alors qu'elle leur parlait. Elle essayait de rester concentrée mais la terreur était en train de la gagner.

Malgré cette désorganisation apparente, le gros de l'effort de défense réussit à être canalisé vers les béliers et la nécessité de leur destruction, sans pour autant que les autres éléments ne soient négligés.

Alors que les bruits d'impact assourdissants se répétaient sans vouloir faire mine de faiblir, Isan jeta un coup d'oeil du côté de la ville. La mise en place de remblais défensifs pour le cas où les assaillants arrivaient à faire une brèche dans les remparts avait été prévue, mais légèrement oubliée dans le feu de l'action. Ceux-ci permettraient, si les ennemis arrivaient à faire une ouverture dans les remparts, de continuer à les contenir s'ils essayaient d'entrer dans la ville. Un remblai bien fortifié garni d'hommes suffisamment équipés pouvait sérieusement donner du fil à retordre à quiconque voudrait enjamber les gravats des remparts. Quelques personnes s'activaient là où les impacts avaient lieu, mais ils n'étaient clairement pas assez nombreux.
Isan appela ses hommes et fonça rejoindre ceux qui construisaient les remblais. Au passage elle essaya d'entraîner avec elle d'autres personnes qui ne semblaient pas occupées à des tâches vitales, principalement ceux qui paniquaient en regardant partout sans rien faire. Au final, ce furent quelques dizaines d'hommes qui arrivèrent au pied des remparts et furent divisés entre les deux zones d'impact et de potentielle brèche. La soldate organisa une petite chaîne de travail pour la mise en place des matériaux et envoya sa subordonnée la plus imposante pour aller chercher encore d'autres personnes pour les aider.

Les remblais prenaient forme, de plus en plus épais et solides. Tout le temps qu'ils auraient pour le consolider et l'agrandir serait précieux et pourrait peut-être faire la différence. Tous les hommes en plus qui les rejoindraient étaient d'une importance vitale : lorsqu'une brèche apparaîtrait et que les Aravallis entreraient, Isan et ceux qu'elle aura rassemblés seront en première ligne. Ils devaient être prêts. Ils devraient tenir.

Un nouveau coup violent retentit. Des morceaux se détachèrent et tombèrent des murs. Au prochain coup, ceux-ci voleraient en éclats.

T4 - Le MonstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant