Chapitre 10

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Daldyn était assise dans un coin sec de la petite cellule crasseuse. L'air était tiède, humide et empestait le désespoir. Les cachots humains n'étaient guère différents des cachots elfes. Elle regardait, ou plutôt écoutait, ses petits camarades s'agiter, tenter de comprendre ce qui s'était passé, chercher un moyen de sortir. Elle sentait le pauvre Visean essayer de ne pas paniquer, tenir sa fonction et se montrer rassurant pour les autres. Elle avait un peu mal au coeur pour lui car visiblement tout cela était trop pour lui. Elle avait, à force, développé une certaine affection pour le jeune combattant, contraint d'endosser un uniforme trop grand pour lui. Il avait fait un excellent travail jusque là, compte tenu des circonstances, et Daldyn ferait en sorte que sa valeur soit reconnue le moment venu. Mais il fallait bien admettre qu'à ce moment précis, Visean semblait surtout avoir besoin d'un câlin.

La prêtresse se promit d'aller lui manifester son soutien lorsque la situation serait plus adaptée. Pour l'instant, il n'y avait rien d'autre à faire qu'attendre. Que quelqu'un vienne les libérer, ou que ses comparses trouvent un moyen de sortir de là. Dans les deux cas, Daldyn ne servait à rien et préféra rester en retrait. Et puis, avec toute cette obscurité et cette odeur de mort, le décorum carcéral et les gémissements implorants en arrière plan, c'était une excellente occasion pour prier.

La prêtresse fit le vide en elle, respira profondément, joignit ses mains, plia ses doigts pour former une figure sacrée, puis se mit à fredonner à voix basse. Elle sentit qu'elle avait attiré l'attention de ses compagnons d'infortune, mais cela ne dura que quelques secondes avant qu'ils ne reprennent ce qu'ils étaient en train de faire. La prière lui amena comme à chaque fois une paix intérieure. Et il y avait ce petit quelque chose en plus à ses prières, qui était là depuis le début du voyage. Ou plutôt, depuis que Dao était revenu seul de sa traversée des Laurussia. Depuis ce moment, Gham n'était jamais bien loin. Bien sûr, c'était de Dao dont il était proche et non de Daldyn, mais cette dernière profitait indirectement de la proximité de la source du pouvoir. C'était assez grisant.

Daldyn avait un statut élevé dans le clergé, lié à son ancienneté, son habileté politique et son ascendance. C'était également une prêtresse compétente maîtrisant de nombreux rites, mais ça n'était rien en comparaison de Dao, qui avait sur lui l'oeil de Gham depuis toujours. Elle se rappelait du jour où elle l'avait vu pour la première fois, alors qu'il était encore un petit garçon. C'était sa mère qui était venue l'amener pour le confier au clergé. Elle était à la tête d'une famille de faible influence, et surtout qui n'avait jamais eu aucun lien avec le culte de Gham. La plupart des familles avaient un ou plusieurs dieux tutélaires, auxquels elles confiaient un enfant par génération pour devenir prêtre. Ainsi, la vision de cette mère inquiète, issue d'une famille inconnue, amenant son petit au temple-école de Gham, avait quelque chose d'incongru. Mais elle disait que son fils était touché par le dieu, qu'il se manifestait à lui et que ce dernier était obsédé par Gham. Alors le temple avait pris le petit et avait entrepris de l'éduquer et le former.

A cette époque, Daldyn enseignait au temple-école. Elle était dans une phase de sa vie où elle avait envie de transmettre et de s'investir dans le futur, de travailler avec les plus jeunes. Dao était un enfant sage, appliqué et doux. Il faisait de son mieux, avait de très bons résultats et n'avait pas de problème avec les autres enfants, même s'il n'était pas particulièrement sociable. Les adultes n'avaient par contre pas beaucoup de considération pour lui à cause de ses origines. Ils ne le maltraitaient pas, mais le préparaient à un rôle d'éternel subalterne. Il ne s'élèverait jamais au sein du clergé. Ils n'avaient pas pris au sérieux les dires de sa mère sur le lien de son fils avec Gham. Daldyn non plus, mais elle s'était prise d'affection pour le petit et passait souvent du temps avec lui, pour répondre à ses incessantes questions sur le dieu et les cultes rendus. Elle aimait bien la compagnie de cet enfant qui, d'habitude très réservé, semblait s'ouvrir un peu et prendre confiance à son contact.

T4 - Le MonstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant