Chapitre 8

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Assise sur le large rebord de la fenêtre de sa chambre, Ladinia observait la ville devant elle, savourant un verre de liqueur locale au goût sucré et floral. Elle avait éteint toutes les lumières autour d'elle afin de voir au mieux ce qui se passait sous ses yeux. La scène avait quelque chose d'hypnotisant et la diplomate se sentait à la fois fascinée et apaisée par ce qui se passait. Elle avait toujours cette réaction lorsque la situation sombrait dans le chaos. Elle était fascinée par le chaos. Tout s'effondrait, tout s'accélérait, la violence explosait, chaque décision était cruciale, et Ladinia souriait, prise d'une sorte d'euphorie concentrée.

Sa contemplation était parfois interrompue par l'arrivée de l'un des membres de sa délégation, qui venait lui faire un rapport sur l'évolution des événements, selon ses ordres. Lochkov était en train de sombrer. Aravalli avait ouvert les remparts et son armée était entrée en ville. Elle progressait lentement, détruisant tout sur son passage, massacrant la population. Bientôt, elle sortirait des quartiers pauvres et l'intensité du carnage baisserait. Avant l'attaque sur les remparts, Terregrise avait réussi à se faufiler et de petits groupes s'étaient rapidement diffusés dans toute la ville. D'après les informations remontées à la diplomate, ces groupes s'emparaient des points stratégiques importants de la ville et éliminaient certaines familles nobles.

Depuis son perchoir, Ladinia pouvait sans problème repérer où se trouvaient les Aravallis et leurs combats. Ils étaient encore bien loin du palais où elle se trouvait, avec sa délégation d'Elfes Rouges. Concernant les mercenaires, elle ne pouvait que deviner, mais ça n'était pas compliqué : les temples, les casernes, les palais administratifs, les greniers, les centres de communication et de soin. Le palais central. Les points névralgiques d'une ville, les centres de pouvoir politique et les noeuds logistiques. Et Aravalli nettoyait les quartiers pauvres, débarrassant Lochkov des populations les plus gênantes et faisant par la même occasion un bel exemple de violence pour décourager quiconque de se défendre plus avant. Les Lochkovites seraient en état de choc et accepteraient toutes les conditions de capitulation.

La stratégie était évidente et fonctionnerait si les armées arrivaient à rester disciplinées et suivre les ordres sans plus de débordement. La seule chose qui surprenait Ladinia était l'attribution des rôles. Elle aurait plutôt vu Aravalli prendre les points importants de la ville pendant que Terregrise effectuait la basse besogne. Ça aurait eu plus de sens au niveau politique au moment de la reddition. Mais c'était peut-être simplement une question de compétences. De ce dont elle avait pu en comprendre, l'armée aravallie n'était pas la plus compétente pour avancer en petits groupes discrets et rapides pour s'infiltrer un peu partout dans la ville.

En tous les cas, elle n'était pas particulièrement inquiète. Les Elfes Rouges et le convoi en général n'étaient pas vraiment concernés par ce qui se passait. Si les hommes de Terregrise venaient dans le palais où elle se trouvait pour exécuter ses hôtes, elle ne s'y opposerait pas. C'était légèrement ingrat, bien sûr, mais elle n'avait aucune intention de mettre ses gens et elle-même en danger pour un petit conflit entre humains. Quant à Aravalli, elle était à peu près certaine qu'ils n'avaient pas l'intention de faire trop de dégâts dans les quartiers riches. Seules les familles visées par Terregrise seraient inquiétées. Ces familles étaient probablement ennemies avec le parti qui avait trahi et permis aux mercenaires d'entrer dans la ville. Mais Ladinia n'en savait évidemment rien car elle ne s'était pas beaucoup intéressée à ce conflit ennuyeux.

Cela faisait longtemps qu'elle n'avait plus fait de mission diplomatique hors du désert, avec des humains. Mais si la plupart de leurs sociétés avaient évolué assez rapidement depuis la dernière fois, il y avait tout de même une chose qui n'avait pas changé chez eux : ils n'arrêtaient pas de se battre entre eux. Avec les humains, il y avait toujours une guerre en préparation, un conflit larvé, des manoeuvres plus ou moins subtiles, des trahisons. Les premières fois, Ladinia avait été surprise. Les revirements soudains, les retournements de veste, l'escalade foudroyante de la violence. Comment un allié fidèle peut soudainement venir vous égorger dans votre sommeil. La diplomate avait vécu quelques moments de pure terreur et de perte complète de repères lorsqu'elle côtoyait les humains dans sa jeunesse. Mais elle avait fini par apprendre à leurs côtés à être prête à tout et ne faire confiance à personne, à toujours frapper en premier et chercher à surprendre l'adversaire. Ces choses-là se pratiquaient à un niveau bien plus élevé chez les humains que chez les Elfes Rouges du Désert. Et ça lui avait grandement servi dans la suite de sa carrière.

T4 - Le MonstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant