T4 - Le Monstre

Chapitre 11

Caleb ne se sentait pas très bien. Il devait gérer énormément de choses pendant l'attaque de la ville. Il avait un rôle central et devait penser à tout, faire en sorte que tout le monde soit au bon moment au bon endroit. Il devait avoir une concentration absolue sur l'instant. Il en était parfaitement capable et s'attelait à sa tâche de son mieux. Après tout, l'avenir de sa ville et de toute sa famille dépendait de ce qui se passait pendant cette journée. Mais il n'arrivait pas à évacuer complètement ce tiraillement qu'il avait dans l'estomac. Il connaissait bien la sensation, qui l'étreignait à chaque fois qu'il trahissait. Mais cela faisait longtemps qu'il ne l'avait plus ressentie à une telle intensité.

Il avait trahi le convoi. Dao et Sandre dont il s'était rapproché pour sa mission mais qu'il avait très vite appréciés sincèrement. Il les avait trouvés touchants ensemble, se plaisant à imaginer que la relation entre ses parents avait peut-être ressemblé à cela. Il avait trahi les gardes elfes, dont il avait réussi à gagner la confiance et avec qui il avait développé une camaraderie. Et indirectement, il avait trahi Aeron. Cette pensée lui brisait le coeur. Il avait rencontré le jeune Laurussi comme s'il s'était pris un carreau de baliste en plein coeur. C'était brutal, inattendu, et ça l'avait éjecté tellement loin qu'il avait l'impression de ne toujours pas avoir atterri. Caleb n'était plus en contrôle de rien lorsqu'il pensait à son amant. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait plus autant aimé la vie. Mais Aeron le haïrait lorsqu'il apprendrait ce que le demi-elfe avait fait. Bien sûr, le Laurussi était d'une grande souplesse morale et très fort dans l'art d'accommoder les consciences, mais pas lorsque ça touchait à Sandre. Caleb se sentait nauséeux lorsqu'il imaginait la réaction de son amant en apprenant la vérité.

Tout en coordonnant la prise de sa ville par une armée ennemie, il caressait l'espoir que peut-être les gardes elfes ne se rendraient pas compte que la trahison venait de lui ? Mais il ne se faisait pas trop d'illusions. Visean avait beau ne pas être assez affûté pour pouvoir remplir ses fonctions correctement, il n'était pas stupide. Il comprendrait qu'ils avaient été empoisonnés par le vin que Caleb avait amené. Ce dernier avait prévu de nier en bloc et de rejeter le problème sur le serviteur du palais qui lui avait fourni la bouteille, mais malgré ses talents d'acteur, il avait des doutes sur le fait que son numéro soit cru. Le demi-elfe avait longuement hésité pour savoir s'il valait mieux exécuter ces elfes afin que personne ne puisse le soupçonner. Ioni préférait éviter de tuer des gens lorsque ce n'était pas nécessaire. Mais pour elle la discrétion de son fils dans l'opération est une nécessité. Cependant ce dernier ne put s'y résoudre. Il appréciait ces gardes, et se sentait déjà suffisamment mal à l'idée que Dao ne meurt par sa faute, aussi ne voulut-il pas en rajouter. Cela avait probablement été une erreur. Mais sa conscience était tellement lourde qu'il avait eu la faiblesse de vouloir au moins préserver ces elfes.

Et, bon sang, pire que tout, la trahison de sa ville. Faire entrer ces mercenaires pour qu'ils puissent prendre Lochkov. Il se détestait pour cela. Mais c'était le mieux qu'il avait réussi à négocier avec sa mère. Ses dents se serraient de rage à chaque fois qu'il pensait à elle. La foutue générale de Terregrise. Ils avaient toujours eu une relation compliquée, mais là elle s'était surpassée. Et Caleb se haïssait d'avoir encore joué son jeu. De lui avoir encore une fois donné la priorité sur lui, alors qu'elle se fichait éperdument de lui. Elle le manipulait, lui faisait les yeux doux et agissait comme si elle tenait à lui quand elle avait besoin de quelque chose, lui faisant miroiter un espoir de relation familiale. Puis elle disparaissait dès qu'elle avait fini ce qu'elle avait à faire, pour retourner à sa croisade. Elle avait une mission tellement importante, qu'elle disait, qui l'accaparait complètement, au point qu'elle ne pouvait pas se permettre de rester un peu auprès de son fils. Foutaises. C'était une irresponsable égoïste folle dangereuse, qui détruisait tout sur son passage.