Chapitre 6 : déceptions, vaisselle et peinture

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7 février 1968, FRANCE

Aujourd'hui, c'est mon premier vrai jour en tant qu'internée. Même si cela fait une bonne semaine que je suis arrivée ici avec mes deux mésaventures, je n'ai pas pu intégrer le groupe de malades. Je farfouille ma purée dans mon assiette. Sans grande conviction, je porte la fourchette à ma bouche. Je fais une moue convaincue, moins mauvaise que je ne le pensais. Je suis assez fière d'avoir réussi ce plat.

Plus tôt dans la matinée, chaque patient était réparti dans un groupe aléatoire soit pour faire une partie du repas soit pour mettre la table. Je fus en charge de la purée avec six autres personnes et la coopération fut difficile. J'étais celle qui ralentissait les autres et on me l'avait bien fait comprendre par de multiples soupirs d'exaspération.

- Gabrielle, ici la Terre, tu me reçois ? dit Éléonore en passant sa main devant mes yeux.

- Je... Oui, oui, je t'écoutais. Tu disais, d'ailleurs ? m'exclamé-je en me redressant d'un coup.

La rousse pouffe de rire, et reprend ses explications. Je ne sais pas pourquoi, mais elle s'est mise en tête de me faire la description de chaque pensionnaire et de tout le personnel soignant. Cela fait depuis ce matin qu'elle me noie d'explications, et je n'ose pas lui dire qu'en réalité, j'ai décroché depuis bien longtemps. De temps en temps, je hoche la tête et je murmure approbatrice ou désapprobatrice quand son ton me fait sentir que je dois réagir à ce qu'elle dit.

- Hé, tu manges pas tes concombres ? Ils sont supers bons, je ne dis pas ça parce que c'est moi qui les ai faits.

Je glousse et je tends ma main droite instinctivement. Je grimace à la vue du pansement sur mon poignet. Éléonore se tait et me regarde inquiète. Elle me demande si je vais bien, j'hoche la tête pour la rassurer puis je lui tends cette fois de l'autre main l'entrée. En réalité, ça ne va pas. Les conséquences de ma rencontre avec le monstre mangeur d'hommes, il y a une semaine, ont été terribles. Elle me sourit et reprend ses descriptions.

Après ma confrontation avec la chose, ils m'ont récupérée cette nuit, le bras en sang et amenée dans la clinique. Les médecins m'ont suturé le poignet. Le lendemain, on m'expliquait que ma blessure avait été assez profonde pour m'endommager le nerf médian. Autrement dit, mes muscles du pouce doivent être rééduqués et je n'ai presque plus aucune sensibilité au niveau de celui-ci, de mon index et de mon majeur. Avant de commencer ma rééducation, tous les après-midis, ma plaie doit être nettoyée et mon pansement doit être changé. Plus tard, j'aurai des séances de kiné. Dès le début, on m'a clairement annoncé que plus jamais je ne pourrais l'utiliser comme avant.

- Tu peux me couper ma viande ? l'interrompé-je.

- Oui ! Bien sûr ! Pas de problème ! Tu sais, je suis là, si tu veux en parler, me répond-elle en prenant mon assiette.

- Je sais bien, et je t'en remercie.

Mes malheurs ne se sont pas arrêtés là. Après la nuit passée en observation, le Docteur Buile et le Docteur Māyā sont venus me rendre visite. Le premier avait dans la main un sac en plastique. Dans le contenant, il y avait un couteau ensanglanté. Les deux adultes m'ont expliqué qu'on avait retrouvé cette lame à quelques mètres de là où j'avais fait ma soi-disant crise. Ce couteau appartenait à l'hôpital et était beaucoup utilisé en cuisine. Selon leur hypothèse, j'avais volé ce couteau et j'étais sortie de ma chambre par la porte, car l'infirmière avait oublié de la fermer à clé et j'avais tenté de me suicider. J'ai eu beau nier, ils ne m'ont pas crue et pour cause, j'avais dit mot pour mot à Éléonore que j'étais en pleine crise ce soir-là.

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